Théâtre
« Songs » : La mélancolie anglaise du XVIIe siècle vue avec humour

« Songs » : La mélancolie anglaise du XVIIe siècle vue avec humour

08 January 2019 | PAR Victoria Okada

Le Théâtre du Bouffes du Nord présente, jusqu’au 20 janvier, le spectacle « Songs », construit à partir du programme créé par l’Ensemble Correspondance : « Perpetual Night ». Représenté pour la première fois à Lyon en octobre dernier dans le cadre du Festival d’Ambronay, cette pièce devient aujourd’hui un véritable « théâtre-concert ».

En entrant dans la salle, le spectateur découvre les draps blancs qui recouvrent entièrement la scène. Ces draps sont éblouissants sous l’effet de l’éclairage. Quelques figures géométriques derrière ces tissus laissent imaginer que des petits meubles, en l’occurrence les instruments à claviers, sont cachés là.

C’est le jour du mariage de Sylvia. Mais elle s’enfuit, enfermée dans les toilettes. Sa sœur Viviane tente de la rassurer, mais Sylvia part dans sa mémoire — « descente en elle-même » comme dit le metteur en scène Samuel Achache — où l’image de sa sœur se superpose avec celle de la directrice de la colonie de vacance. Dans cette confusion, ses souvenirs plus ou moins inconscients, flous et en désordre, ressortent d’une couche de vécus, symbolisée par la cire qui couvre tous les objets du décor. La cire, liquide puis solide, est aussi là pour montrer la transformation des émotions qui se déversent comme des flots, puis se métamorphosent en se fixant. Dans ce voyage intérieur, il y a une mère, à la fois fragile et autoritaire, qui n’arrive pas à s’exprimer autrement qu’en chantant. Et elle le fait à travers des airs mélancoliques du XVIIe siècle anglais.

 

Sarah Le Picard joue le rôle de Sylvia désemparée et perdue, qui s’efforce de se convaincre malgré ses désarrois, et Margot Alexandre, sa sœur exubérante et protectrice avec un accent provençal. Toutes les deux forment un duo drôle tout en évoquant des sentiments du passé pourtant sombres qu’elles rendent formidablement.

Sébastien Daucé, directeur musical de l’Ensemble Correspondances et Samuel Achache ont élaboré ce spectacle pour mettre en valeur ces songs, représentatives d’un état d’esprit typique de l’époque bouleversante et instable qui suivit le règne d’Elisabeth Ire. La monodie accompagnée qui naissait dans cette période permettait une liberté de déclamation, expression tout à fait nouvelle par rapport à la polyphonie, et qui engendrait une affirmation de soi plus marquée. Or, ces songs de John Blow, Matthew Locke, Henry Purcell et de bien d’autres, ont été chantées dans un cadre de théâtre, et pour que cela soit conforme à cet usage, les deux artistes ont voulu les présenter sous la forme de théâtre plutôt que celle de récital où on ne fait que chanter successivement des airs.

Le disque « Perpetual Night » est conçu sur mesure pour la voix d’alto (ou de contralto) de Lucile Richardot, qui incarne la mère dans le spectacle. Son timbre unique, chaleureux et épais, profond et riche, accompagné et mené à la fois par des instruments (violes, claviers, théorbe, luth, flûte et harpe) réunis en consort, est au centre de ce comédie-dramatique. Sa voix très particulière et donc magique (à l’écoute aveugle, on ne sait même pas si c’est une voix de femme ou d’homme) est une véritable personnalité à elle seule ; et cette étrangeté vocale intervient comme pour renforcer ou interrompre la plongée de Sylvia dans ses mémoires. Le baryton René Ramos-Premier, en archiviste de ces souvenirs, vient parfois chanter avec Lucile Richardot, et leur harmonie de timbre et de couleur est heureuse. Si l’excellence de l’Ensemble Correspondances n’est plus à prouver, Sébastien Daucé et sept musiciens jouent merveilleusement leurs rôles dans la pièce de théâtre, quelquefois en chantant en chœur (référence au théâtre de Platon selon la scénographe Lisa Navarro qui a écrit un texte absolument délicieux) et parfois dans des conditions difficiles à cause de la présence de la cire et de l’eau, ainsi que des déplacements sur le sol accidenté.

C’est une pièce hautement originale, qui mêle le théâtre et le concert, débordante d’imagination et de poésie où la mélancolie est abordée avec le rire.

Photos © Jean-Louis Fernandez

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