Théâtre
POUSSIERE DE LARS NOREN A LA COMEDIE FRANÇAISE, Une pièce infinie sur la finitude

POUSSIERE DE LARS NOREN A LA COMEDIE FRANÇAISE, Une pièce infinie sur la finitude

20 February 2018 | PAR David Rofé-Sarfati

Le plateau de la salle Richelieu accueille la dernière création de Lars Norén un texte dense, parfois déroutant sur la mort et la finitude interprétée par onze comédiens fantastiques. Un chef d’oeuvre.

[rating=4]

Une oeuvre littéraire puissante.

Sur une plage grise et poussiéreuse jonchée de petits cailloux noirs, un homme Hervé Pierre et une femme Daniele Lebrun entrent à cour; à jardin entre un enfant.  Les premiers mots de l’homme seront : nous sommes là. Immédiatement apparaissent les personnages becketiens de En attendant Godot, et cette phrase fait déjà écho au “vous êtes sur terre c’est sans remède” de Hamm. L’ambiance est posée. Cela s’appelle poussière en référence à l’homélie tu redeviendras poussière. La pièce sera une messe triste sur la mort et sur le naufrage de la vieillesse.

La fin est dans le commencement et cependant on continue.

Cela fait plus de trente ans qu’ils viennent dans « ce putain d’endroit ». Ces vacanciers vont porter un regard clair sur leur vie dans cette station balnéaire transformée en mouroir. Les personnages se chahutent, s’ignorent, s’abandonnent à leur divagation, à leur folie. Ils s’exaspèrent, se querellent. Le texte de Norén, a été ajusté lors des répétitions avec les acteurs du français. C’est Norén qui met en scène cette réécriture de plateau. Ce travail collégial garantit l’harmonie et le rythme. Le propos ténu est tragique trivial poétique vulgaire parfois. On partage un enfer; on partage avec chaque personnage et avec chaque comédien l’enfer de la situation. Durant les 1H50 de la pièce qui semble pour cela s’étirer comme un seul acte, tous les comédiens restent sur scène.

Les onze comédiens jouent sans pauses des personnages ajustés et ainsi authentiques. Pour cette première raison, nous ne parvenons plus à décoller le personnage de l’acteur. Dominique Blanc, Danièle Lebrun, Anne Kessler, Bruno Raffaelli créent des vieux cacochymes denses et historisés: chacun porte en lui le chemin de vie dont il s’agit ici et qui est en train de se finir.  Francoise Gillard est irréelle dans un rôle muet. Alain Lenglet, l’encore surprenant Didier Sandre, le toujours parfait Gilles David et Christian Gonon qui est peut être un peu jeune pour le rôle finissent de constituer ce magnifique équipage. Et enfin il y a l’immense Hervé Pierre. Il défend un personnage à la Becket entre le Hamm acariâtre de Fin de partie et le sombre désespéré Estragon de Godot. Il est attachant en même temps que répugnant et c’est lui qui portera le mot de la fin. La fin merveilleuse ressemble à celle de Citizen Kane avec son Rosebud. Une fois encore Hervé Pierre, fantastique est en charge de l’insight de la pièce où la fin est dans le commencement.

 

Une pièce pesante et infinie.

Lars Norén hait ses personnages. Ils sont médiocres ridicules enfantins cruels racistes aussi; le thème du petit homme blanc dégénéré et raciste a mal vieilli depuis sa pièce FROID mais Lars Norén a vieilli aussi et puisqu’il déteste ses personnages il ne pouvait leur éviter cet anachronisme. Son geste littéraire et théâtral n’en est que plus beau puisque s’il ne répugne à mettre en scène ce qu’il hait, c’est par ce qu’il peut compter sur la troupe talentueuse pour offrir au public la chance de suppléer cet amour retiré par l’auteur; et une fois encore dans un mouvement d’amour vers chaque personnage nous ne savons décoller le comédien de son personnage. La pièce est un chef d’oeuvre pour son interprétation.

Elle l’est aussi pour ce qu’elle cherche à saisir. Je dis seulement ce qui est, clame un personnage. À la fin d’une vie, les faux semblants se retirent, les mascarades deviennent inutiles, le désir chute, la parole devient vaine, la vacuité des signifiants s’abat sur nous. Pourtant il faut dire les choses, les expliquer sans être dupe que la langue rate toujours sa cible. La pièce de Lars Norén ressemble à celle de Beckett (notons aussi que comme Godot la pièce est un peu trop longue), car elle nous offre une réflexion infinie sur le langage, sur la création et sur nos vies.

A voir et à revoir.

Poussière

de et mis en scène par Lars Norén

avec la troupe de la Comédie-Française

Martine Chevallier, Anne Kessler, Bruno Ra aelli, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Christian Gonon, Hervé Pierre, Gilles David, Danièle Lebrun, Didier Sandre, Dominique Blanc
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Matthieu Astre, Juliette Damy, Robin Goupil, Alexandre Schorderet et les enfants en alternance

Maxime Alexandre, Margaux Guillou, Rosalie Trigano

Crédits Photos Brigitte Enguerand

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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