
Othello à l’ère de Tiktok
À l’Odéon, théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier met en scène Othello. Il continue son dialogue au long cours avec Nicolas Bouchaud – interprète dans presque tous ses spectacles et ici de Iago – et Véronique Timsit, dramaturge ; pour un théâtre à l’écoute de la langue et enraciné dans la présence de l’acteur.
Un féminicide, mais pas que
Othello, c’est l’histoire d’un féminicide, mais aussi l’histoire d’une sombre machination ourdie par vengeance. Othello, esclave affranchi devenu général de l’armée vénitienne et gouverneur de Chypre, revient sur l’île après avoir vaincu les Turcs. Il promeut Cassio, son enseigne, au rang de capitaine à la place de Iago. Ce dernier, sourdement fou de rage, est déterminé à détruire Othello qu’il parvient à pousser à la violence. Othello préméditera froidement l’assassinat de Cassio et l’exécution de Desdémone.
Pour raconter la tragédie d’Othello, Sivadier reprend deux motifs de mise en scène qu’il affectionne. Il recourt aux adresses participatives au public et plante l’intrigue au sein d’un décor insaisissable fait de transparences et de ponctuations lumineuses. Dans ce glissement du temps et de l’espace, il dessine toute la noirceur du cœur de Iago.
Iago en vedette noire
Comme dans toutes ses grandes pièces, la question de la vérité est centrale. La force de l’interprétation de Nicolas Bouchaud n’a d’égale que celle d’Adama Diop. Le duo est formidable, et le spectacle de cette confrontation de personnages en même temps que de talents ravit la salle. Le reste de la troupe accompagne avec brio le geste, dont Jisca Kalvanda qui impressionne de pluralité. Jean-François Sivadier décide de poser sur les épaules de Iago le point de gravité d’une mise en scène qui le dynamise et donne au personnage une épaisseur et une présence forte. Il devient, par l’humour et par l’interprétation organique de Bouchaud, intense.
Iago est sombre, noir ; il manipule tout en déclenchant des rires ; il sait être un séducteur, un fascinant maitre des horloges ; il est habile, pour son terrible projet, à organiser la désinformation, en s’armant d’un esthétisme racoleur et un humour roublard. Iago est irrésistible. À l’instar de Tiktok il nous fait croire dans une séduction faussement innocente à toutes les fake news ; et il mènera le pauvre Othello à sa perte. Sivadier aura réussi à nous enchanter par un Shakespeare merveilleusement interprété où Iago interroge notre époque. Bravo et merci
Othello
de William Shakespeare
mise en scène Jean-François Sivadier
avec
Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Émilie Lehuraux
durée 3h20 (avec un entracte)
18 mars – 22 avril
Crédit photo Jean-Louis Fernandes