Théâtre
La nuit où Murgia a joué sous la pluie au Festival d’Avignon

La nuit où Murgia a joué sous la pluie au Festival d’Avignon

13 July 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

A Avignon, les lieux comptent, et quand ils sont en plein air, il faut faire avec le ciel. Fabrice Murgia a eu de la chance hier que les dieux s’en mêlent car sa dystopie, La dernière nuit du monde, a pris une puissance qu’elle ne peut pas avoir par temps calme ! 

Retour au plateau

Disons qu’entre nous et Fabrice Murgia, c’est une longue histoire. On le découvre en 2009 pour Le chagrin des Ogres, alors au OFF d’Avignon, et c’est le choc. Depuis il a mis en scène plein de spectacles et a dirigé le Théâtre National à Bruxelles. Il vient de passer la main (amicale et cordiale) à Pierre Thys. Et donc le voici de nouveau libre, comme en 2009, libre et disponible pour être au plateau.

En interview en 2012 il nous disait : “Je suis amoureux de la technique, j’essaie d’avoir cette exigence où rien ne doit dépasser”, et neuf ans plus tard, la méthode est intacte, sauf que, face à la pluie, la technique et le jeu doivent négocier !

Donc, pour une fois Murgia hérite d’un texte. Contrairement à son habitude, il n’a pas travaillé en lien avec le plateau. La dernière nuit du monde est un texte de Laurent Gaudé. C’est une dystopie à l’idée géniale. Imaginez : dormez 45 minutes et vous ressentez huit heures de sommeil. La nuit et le jour s’inversent, il n’y a plus d’horaires, plus d’impératifs liés à la fatigue puisque la pilule magique assassine la fatigue. 

La nuit fractionnée

Le ciel commence à se fracturer pendant l’entrée du public, et sur scène, il y a une tonne de fausse neige qui s’envole à cause du vent. Il y a un écran sur lequel, par intermittence, on voit une femme qui dit “dans le pays d’où je viens, rêver est très important”. C’est Fabrice lui-même qui campe le rôle, celui de Gabor. Il est posé sur un plateau noir ourlé de néons. Plus loin Nancy Nkusi est Lou, la femme de Gabor. Très vite, on comprend que Lou a disparu, et on pense que Gabor l’a tuée. Que s’est-il passé ?

On avance dans une interaction fluide avec l’écran où passent tous ceux opposant ou acteur de la mise sur le marché de cette pilule magique, pièce maîtresse d’un capitalisme absolu. Quand rêver ? Quand faire l’amour ? Quand marcher seul dans une ville la nuit ? Tout cela est aboli. Et évidemment, rien ne se passera normalement.

Tempête

Plus la folie de Gabor avance, plus Murgia est saisi par la démence. Et en même temps, la pluie s’en mêle, avec encore de vent, et là, contre toute attente, le spectacle continue, car le public ne bouge pas. Les plus fidèles spectateurs du Festival savent que la nuit dans les cloîtres et les cours le vent s’immisce même quand il fait très chaud. Tout bon festivalier d’Avignon possède un coupe-vent ! Et donc, les capuches grimpent sur les têtes, ou les couvertures données à l’entrée. Le comédien, cela se voit, pense que tout va s’arrêter et joue chaque minute comme si c’était la dernière, et cela va parfaitement bien à cette histoire de science-fiction ! 

Si il faut poser des bémols, ils sont au nombre de deux. L’interaction entre Gabor et Lou ne fonctionne pas, car leur jeu est différent. Murgia campe une rage explosive, Nancy Nkusi est elle dans une présence qui manque d’engagement. En revanche quand elle chante, et que son visage est une ombre rouge sur l’écran, c’est très beau. Ah oui, le second bémol : chanter Barbara en anglais, c’est du parjure ! Pourquoi avoir traduit “Dis quand reviendras-tu ?” La chanson qui a son rôle pendant la pièce devient une bluette pop, c’est dommage.

Reste dans l’ensemble un excellent  spectacle où  Murgia excelle comme toujours à la mise en scène aux allures très techniques, et on le sait, avec lui, la magie arrive vite. C’est une joie de le retrouver sur scène, heureux d’en découdre avec le plateau. Et  aussi, merci d’avoir joué sous la pluie.

Jusqu’au 20 juillet, attention le spectacle change de lieu, et débarque aux Carmes. A 22h, durée 1H20.

 

Visuel : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Avignon off : Pollock, la femme derrière le pinceau
Tristan et Isolde en plein divorce au Festival d’Aix-en-Provence
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration