Théâtre
[Francophonies] « Rano rano » : la poubelle humaine, et le corps de Jean-Luc Raharimanana

[Francophonies] « Rano rano » : la poubelle humaine, et le corps de Jean-Luc Raharimanana

04 October 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

L’écrivain originaire de Madagascar empoigne les paroles de rescapés du désastre qui frappa la population de l’île en 1947. Sur scène, il parle, et la musique admirablement jouée par Tao Ravao accompagne sa descente dans l’horreur. L’objet du spectacle : le corps de notre orateur. Superbement mis à l’épreuve.

[rating=5]

RANO_RANO(c)Pierrot-Men_L9997102Guitare électrique, instruments traditionnels malgaches, Tao Ravao nous livre, pendant une heure dix, une partition entêtante et rythmée. C’est qu’elle doit servir de support aux mots prononcés par Jean-Luc Raharimanana : l’écrivain vient aujourd’hui nous raconter ce que des malgaches âgés lui ont confié. Des gens qui, en 1947, ont vécu l’insurrection de l’île contre les colons français. Une révolte au son d’un cri : « Rano, rano » (à prononcer « Ran’ , ran’ »). Destiné à transformer les balles ennemies en eau. Le corps droit, tout d’une pièce, Jean-Luc Raharimanana s’avance vers nous. On veut connaître ses origines ? « La poubelle de l’humanité », répond-t-il.

Effectivement, il va nous conter un désastre. Comment les corps des malgaches révoltés sont devenus des déchets, aux yeux des français présents, aidés de sénégalais qu’ils avaient armés. Parqués, entassés les uns sur les autres, sans eau, puis déplacés, grâce à un bateau dont les matériaux, fondant au soleil, les faisaient mourir… Le ton de notre interprète varie peu. Demeure inflexible. Livrant des mots concrets. Son corps, de même, se laisse bien peu aller. Il descend à terre, à un moment. Afin de se préparer à combattre. Moment magnifique, au cours duquel se manifeste une chimère : bien sûr que les balles ne pouvaient devenir eau ; bien sûr que l’affrontement a été perdu ; pourquoi alors le représenter ? Le corps, donc, ne montrera rien. Il redevient droit.

RANO_RANO_(c)Pierrot-Men_L9997140Tout du long, Jean-Luc Raharimanana joue entre deux panneaux, sur lesquels sont projetées les photos en noir et blanc de Pierrot Men. Portraits de malgaches âgés, ou enfants d’aujourd’hui… Celui qui raconte est au coeur de la déchirure. Il reste, il doit la donner à voir. A entendre, plutôt : son corps est toujours d’une pièce, bien droit. Sauf qu’au bout d’un moment, on en vient à s’interroger : comment peut-il se tenir tout du long dans une telle position, avec les horreurs qu’il prend en charge ? Qui le traversent ? D’où tire-t-il une telle force ? Lorsqu’il vient saluer, notre regard à changé sur le corps de Jean-Luc Raharimanana : il semble spectral. A moins qu’on entrevoie désormais mieux toutes les blessures qui le composent… Le déplacement opéré par son spectacle – auquel le metteur en scène Thierry Bedard, adepte de la frontalité, a collaboré – est infime. Mais il constitue quelque chose d’immensément précieux. Qui hante longtemps.

Rano rano, interprété par Jean-Luc Raharimanana. Musiques : Tao Ravao. Photographies : Pierrot Men. Regard extérieur et conseil artistique : Thierry Bedard.

Visuels : © Pierrot Men

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