Théâtre
Eric Vigner lance son projet de Centre et de Création Théâtrale à Pau

Eric Vigner lance son projet de Centre et de Création Théâtrale à Pau

31 August 2022 | PAR David Rofé-Sarfati

Molière 3.0 est une manifestation culturelle imaginée en préfiguration du centre de recherche et de création théâtrale dédié au répertoire français des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, initié par la Ville de Pau et le metteur en scène Eric Vigner. Le public populaire est venu nombreux.

Recherche, Création et Transmission

Du 25 au 28 août, à l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière et en partenariat avec les institutions culturelles de la ville de Pau, la manifestation Molière 3.0 a rassemblé des artistes, des spécialistes, des étudiants et le grand public autour des principes fondateurs qui seront l’ADN du futur lieu : la Recherche, la Création et la Transmission. Trois pièces furent programmées : Les Fâcheux dans la cour d’honneur du Château de Pau, Le Malade imaginaire ou le silence de Molière dans la salle des cent couverts du même Château et Dom Juan au Théâtre Saint-Louis. Parallèlement, à la chapelle des Réparatrices du conservatoire, une série de communications publiques a confronté les artistes et des universitaires, spécialistes du théâtre du XVIIe siècle. Par ailleurs, un cycle de projections consacrées au travail de répétition fut proposé à la médiathèque André Labarrère. Enfin, les étudiants du conservatoire de Pau et du Théâtre national de Bretagne ont été conviés à assister à l’ensemble de la programmation et à participer à des Master Class dirigées par les artistes en résidence. En préfiguration du centre de recherche et de création théâtrale, un livre Molière 3.0, trace des travaux préparatoires, est offert au public pour tout achat d’une place à l’une des représentations.

Un événement populaire

Le théâtre populaire existe en mots. Il fut un projet vertueux et s’il a cherché en vain à exister dans une oscillation entre théâtre national et théâtre ouvrier, il n’a été qu’une abstraction partagée par un grand nombre. Le théâtre populaire, parce qu’il voulait le bonheur des gens contre leurs intentions et qu’il voulait éduquer les exclus, s’est condamné à être un fantasme partagé par des penseurs optimistes ; alors qu’il a voulu l’inclusion à marche forcée il n’a créé que des cloisonnements. Les exclus sont restés dehors, la diversité dans des ghettos culturels. Ce projet est un échec. A vouloir lutter contre le mercantilisme on a oublié le public. A vouloir mépriser la culture de masse, on s’est limité. Or les spectateurs du 21eme siècle espèrent encore en avoir autant pour leur propre argent que pour leur propre envie.

Une invention salvatrice

A l’origine du projet de théâtre populaire succédaient aux pièces des débats en bord de scènes entre metteurs en scène inspirés et comédiens fatigués de leur représentation. L’exercice perdure destiné à un petit nombre de savants, professionnels de la culture ou psys jargonnant. Molière 3.0 avec ses communications publiques propose autre chose. A Pau, le public est venu en grand nombre et en grande curiosité, autant aux pièces qu’aux conférences. Eric Vigner semble avoir inventé la formule gagnante, celle qui fera venir au théâtre ces gens là, pas plus benêts que d’autres, qui veulent comprendre et s’instruire sans assister à des spectacles ennuyeux ou opaques. Le théâtre populaire est peut-être là, enfin.

Illustration : Hélène Babu met en scène dans la cour du château la première pièce de Molière : Les fâcheux., une comédie-ballet en trois actes. La pièce imagine le personnage d’Eraste qui voit son rendez-vous avec la femme qu’il aime Orphise toujours empêché par des inopportuns : les fâcheux. La pièce est grandiose, magnifique, magnificence. C’est un moment merveilleux. La troupe investit la cour, la transforme en un décor de théâtre. Le public est captivé par cette comédie ; les rires scandent la représentation. Thibault de Montalembert interprète Eraste. Le comédien est prodige et prodigue. Les autres acteurs sont tous formidables. Hélène Babu, François Loriquet, Océane Mozas, Xavier de Guillebon, Nicolas Martin et Agathe Dronne soutiennent les biais comiques et le texte merveilleux de Molière. La note d’intention insérée dans le livre Molière 3.0 explique sans scories, sans emphase, sans chiqué. On y apprend beaucoup ; on comprend le talent de Montalembert qui sait mobiliser son corps entier et qui semble hypnotisé et par son dessein et par les fâcheux. Lors de la conférence tenue par la rayonnante Anne-Madeleine Goulet, chercheuse en arts du spectacle au CNRS, elle nous explique la notion de magnificence. Et nous apparaît comment la pièce s’intègre dans son décor royal, pourquoi Montalembert respecte et défend une psychologisation de la pièce ou encore comment la petite musique qui fait intrusion sur le plateau par la talentueuse Agathe Dronne renvoie à l’histoire de la pièce. Par cette communication orchestrée par Hélène Laplace-Claverie, professeure de littérature française à l’université de Pau et directrice du laboratoire ALTER (Arts/Langages. Transitions & Relations) à laquelle participait Hélène Babu, nous avons beaucoup appris. Comme par exemple le propos d’une scène jubilatoire où le marquis devient le pantin des désirs de l’autre. Ou ce qui se fomente sous le jeu puissant de Montalembert qui est le désir féroce d’un homme qui se laisse empêcher par les fâcheux ou par lui-même de peur du débordement. Plus encore, chemin faisant de nos réflexions, nous comprenons mieux comment Molière posait déjà la question moderne de la violence conjugale. Et comment Hélène Babu s’en empare dans une scène merveilleuse de querelle entre deux femmes qui associe le désir absolu et jaloux avec son terrible associé : la violence conjugale. Le plaisir immense de la représentation continuait à vibrer en nous bien après les applaudissements.

Autre illustration : Eric Vigner monte Dom Juan dans un dispositif sténographique inédit dans le cadre du Théâtre Saint-Louis. Eric Vigner invente et propose. Rappelons l’intrigue : Dom Juan, seigneur libertin, abandonne la fille d’un commandeur, après l’avoir déshonorée, et tue son père au cours d’un duel. Beau parleur, Dom Juan après Elvire séduira Mathurine. Après avoir épousé Dom Juan, Elvire découvre la face dissimulée de ce personnage ambigu, par le nombre de ses infidélités. A la fin de la pièce, la statue du Commandeur punit Dom Juan qui brûle sur scène d’un feu invisible. Sganarelle reste à pleurer et à réclamer ses gages impayés.

Chez Vigner, Sganarelle est une femme, et le commandeur comme le père de Dom Juan sont invisibles, résumés à des voix de l’ombre. Le spectacle est beau. Le plaisir du public est dense devant le jeu de l’impressionnant Jules Sagot en Dom Juan, de la lumineuse Eva Loriquet en Elvire et de la magnétique Bénédicte Cerutti en Sganarelle et Mathurine. A cette partition s’ajoute Jutta Joahanna Weiss qui interprète plusieurs rôles dont celui du paysan en langue béarnaise.

Nous ne sommes pas en reste de réflexion après l’admirable table ronde nourrie de l’érudition de Sylvaine Guyot, professeure de littérature française à l’université de New York. La belle proposition de Eric Vigner s’éclaire. Dom Juan est un monument du patrimoine. Dom Juan est un mythe et à ce titre toute lecture est légitime, toute exégèse fait sens. Sylvaine Guyot explique : Dom Juan est une pièce polymorphe : elle prend le contrepied du principe d’une unité du genre du théâtre du 17éme siècle. Dom Juan est à la fois comédie du maître et du valet, tragédie racinienne, romance pastorale, farce, satire de la bourgeoisie financière, roman de cape et d’épée, tragédie cornélienne et mystère médiéval.

Et la mise en scène spectaculaire de Vigner trouve sa place dans l’histoire de la pièce. Le génie de sa proposition est dans ce père figuré par un trou noir et dont on n’entend que la voix. Dom Juan est, nous l’avons écrit, un beau parleur. Il se croit invincible car il maîtrise les mots et la parole. Son insurrection contre l’ordre moral est une insurrection contre l’ordre symbolique. Mais qui peut prendre ce pouvoir tout à fait ? La parole du père, une parole sans visage et sans corps, le rattrape. Et la parole faussement innocente du commandeur qui l’invite à un dîner, le tue. Reste la question de Sganarelle, hautement réelle cette fois : mes gages ?

Une fois encore, nous vibrons de la pièce bien après le baisser de rideau.

La transmission au coeur du dispositif

A ces deux belles propositions ajoutons Le Malade imaginaire ou le silence de Molière mise en espace au Château de Pau. En 1999, Arthur Nauzyciel signait à Lorient sa première mise en scène : Le Malade imaginaire ou le silence de Molière d’après Molière et une fiction de Giovanni Macchia 23 ans plus tard. Enchâssée dans Le Malade imaginaire, la parole d’Esprit-Madeleine sème le trouble. Elle fait surgir un monde de deuils, de jalousies, de colères et d’amour. Le Silence, dit Arthur Nauzyciel, c’est l’histoire d’une fille qui a dit non à sa famille, son père et son nom. Le Malade, c’est celle d’un homme qui meurt au théâtre en rêvant que sa famille lui pardonne d’être né Poquelin et de mourir Molière.

En revenant vers cette création où se croisent les figures d’un Molière qui tire sa révérence (l’auteur mourra à la 4e représentation de sa pièce) et de sa fille unique, Esprit-Madeleine Poquelin, Arthur Nauzyciel redonne corps à la source de son théâtre. Dans la salle des cent couverts du Château, le moment est somptueux. Et dense. Le public est ému autant par Poquelin, par Molière, par Argan le malade imaginaire que par Esprit-Madeleine Poquelin, la fille unique. Arthur Nauzyciel jouait en 1999 Thomas Diafoirus le fils ; il interprète en 2022 Diafoirus le père. À ses côtés, une actrice et un acteur présents aux origines, Catherine Vuillez et Laurent Poitrenaux. Le trio s’entoure de sept interprètes qui sont leurs élèves à l’École du Théâtre National de Bretagne. Ainsi, la transmission, composante essentielle du futur centre de recherche et de création théâtrale de Pau, est ici à vue.

 

 

 

Crédit Photo © Philippe Chancel, Jean Louis Fernandez

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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