Théâtre
“Elephant man” : monstres affreux par David Bobée, Béatrice Dalle et JoeyStarr

“Elephant man” : monstres affreux par David Bobée, Béatrice Dalle et JoeyStarr

16 October 2019 | PAR Yaël Hirsch

David Lynch l’a adaptée, David Bowie l’a jouée : la pièce de Bernard Pomerance Elephant man est mythique et marquée par son temps. Le complice de Kirill Serebrennikov, David Bobée la met en scène avec respect, Joeystarr dans le rôle-titre et Béatrice Dalle en Juliette gothique. Un spectacle co-produit par les Folies Bergères et le CDN de Normandie Rouen, avec des qualités visuelles et des performances d’acteurs mais qui ne parvient pas à structurer une tension suffisante.

Le monde est une scène. Et la pièce certainement un peu datée commence par une harangue réflexive sur celui qui exhibe “elephant man” dans les foires afin de gagner trois sous. Bobée place intelligemment Joeystarr sous des linges, fait voir son visage par le chirurgien qui amorce l’intrigue sans que nous ne voyons rien et bat le tambour du suspense en nous offrant un petit numéro de sœurs siamoises joliment dissymétrique. Le visage révélé est celui (attention, spoiler!)… de Joeystarr, sans maquillage, ni postiche, ce qui lui permet de vraiment jouer le monstre. Il se révèle à l’hôpital déjà dans ce qui sera le terrible et magnifique décor de la pièce : des murs hauts, en carreaux blancs glauques, qui nous rappellent l’emprise de la science et de la norme positiviste sur nos corps. Dans cet espace, sculpté par le bas pour laisser l’imaginaire pousser comme des champignons au sol, des moments de rêves, d’angoisse sociale (personnifié par Jack l’éventreur et son ballet d’une seule victime ) et de projections nuageuses. Autre beau point : la musique est aussi enveloppante que la lumière : omniprésente, mais toujours bien dosée, donnant tonus et écho au texte quand il faut, et créant un joli flou de soubassement quand on peut se laisser aller à rêver.

Alors que Joeystarr livre une performance excellente : incarnant dans son corps et dans sa voix le monstre-miroir, que Béatrice Dalle retrouve son complice de Lucrèce Borgia avec la pétulance qu’on lui connait et que l’on aime, la pièce pêche avant tout par son texte. Peut-être faut-il se le dire : la mise en abîme sur le rôle du théâtre, les fantômes lourds de Shakespeare et les grands laïus sur l’exploitation des ouvriers et des monstres bloquent l’imaginaire et tuent la catharsis pour nous aujourd’hui. Mais au-delà de ces grippages et ces blocages un peu sentencieux, là où la production pêche vraiment, c’est qu’en trois heures conservées et respectée, on ne voit pas bien comment se structure le suspense et où l’intrigue veut nous mener.

Le verbeux remplace ce qui devrait être (ou nous a semblé chez Lynch) la machine infernale. Ainsi les moments de tendresse et d’empathie, aussi bien que les temps très réussis où l’on se replonge vraiment dans cette Angleterre victorienne en pleine folie industrielle, scientifique avec ses bas-fonds et son inconscient hideux, ne permettent pas de conjurer totalement un certain ennui.

Une tentative intéressante et cohérente, mais où l’on se perd dans les mots au lieu de se noyer dans les décors.

Elephant man, de Bernard Pomerance, adaptation et mis en scène : David Bobée, avec JoeyStarr (John Merrick), Béatrice Dalle (Mme Kendal), Christophe Grégoire (Docteur Frédéric Treves), Michael Cohen (Ross), Clémence Ardoin (Miss Mina Shelley), Gregori Miège (F.C. Car Gomm), XiaoYi Liu (Princesse), Radouan Leflahi (Snork), Papythio Matoudidi (Will), Luc Bruyère (Jack Webster), Arnaud Chéron (L’homme), 3h avec entracte (ou début décalé), jusqu’au 20 octobre 2019.

visuel : ©Jean-Baptiste Mondino

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