
Dispak Dispac’h, le spectacle sur-vivant de Patricia Allio
Pendant toute cette 77e édition du Festival d’Avignon, chaque spectacle a posé de lourdes questions sociales. Chose passionnante, les formes qui en sont les vecteurs sont toutes différentes. Patricia Allio invente le meeting théâtral dans une agora citoyenne totalement neuve.
Quelles vies valent d’être pleurées??
Nous voici placés en quadrifrontal. Tout est bleu, bleu Méditerranée. Les bancs, la lumière, le sol. La performance est autant documentée que documentaire. Ce n’est pas le premier spectacle à parler de la question de la mal nommée “crise des migrants”. On pense à Frédéric Ferrer ou à Arkadi Zaides qui interrogent eux aussi la notion ubuesque de “frontière” pour la dénoncer.
Tout commence comme un vrai théâtre. Une comédienne, Élise Marie, campe une avocate qui plaide pour l’application des lois internationales lors d’une session du Tribunal permanent des peuples consacrée à la violation des droits des personnes migrantes et réfugiées par l’Europe. La première des libertés, celle de circuler, n’existe nulle part. La scénographie et la dramaturgie nous installent sous les eaux, là où les morts pourrissent dans une volonté politique malgré des alertes constantes. C’est effarant, aussi, parce que nous sommes au courant que cela existe. Mais comment accepter que cela existe sans bouger ?
Laissez-les mourir, cela va les dissuader
Ce théâtre documentaire est porteur de nombreuses solutions. En nous amenant à une écoute très particulière, Patricia Allio nous fait entendre que tout acte de lutte est bon à prendre. Elle se place dans une posture de sœur, on est chez elle, pieds nus, les jambes allongées, on se lève, on va boire un verre d’eau, on revient, nous les femmes et hommes libres. La pièce convoque un nombre de témoins qui viennent partager leurs expériences. Mortaza Behboudi n’est pas là, le journaliste franco-afghan est retenu en prison par les talibans depuis le 7 janvier 2023. C’est aussi pour lui que la pièce se donne. La parole est extrêmement politique, militante mais elle n’est pas larmoyante, elle est pleine d’espoir. On rencontre Stéphane Ravacley, ce boulanger devenu célèbre pour avoir entamé une grève de la faim pour éviter l’expulsion à son brillant apprenti. Depuis, il est toujours boulanger mais il danse aussi.
Le corps politique
S’engager avec le ventre, avec la parole, avec la loi. En breton, dispak signifie « ouvert, désordonné », et dispac’h « révolte, révolution ». Le spectacle nous met en marche, en mouvement dans une écoute active qui est le pendant du silence acteur de la pièce de Tiago Rodrigues, Pour l’amour de l’impossible, qui se donne également au Festival. Il y a la présence du chorégraphe et danseur Bernardo Montet qui tremble de toute son âme dans sa danse puissante. Le corps politique, c’est surtout celui de David Yambio qui a traversé quatre fois, et quatre fois a été ramenée dans son pays hostile. La cinquième, il a réussi, laissant derrière lui des centaines de cadavres. Et c’est lui qui espère que l’année prochaine, nous puissions nous réunir pour parler légèrement.
Ponctuée par la musique de Léonie Pernet et les lumières superbes d’Emmanuel Valette, la pièce est un objet scénique d’une grande beauté.
À voir au Festival Actoral à Marseille les 4 et 5 octobre puis du 21 au 31 mars 2024 au Théâtre Silvia Monfort à Paris.
Pétition pour la libération de Mortaza Behboudi : https://rsf.org/fr/%23FreeMortaza
Visuel : ©Christophe Raynaud de Lage