
Dislex, le théâtre généreux de la dyslexie
Isabelle Ronayette brillante metteuse en scène et comédienne imagine une croisière pour l’univers de la dyslexie. A l’adresse des non dyslexiques, elle restitue avec son complice Martin Staes-Pollet un voyage touristique édifiant au sein d’un monde symbolisé différemment.
Avant la représentation nous sommes invités dans une délicieuse régression enfantine, à construire, aidés par un petit schéma, le bateau en papier A4 Seyés de notre enfance; les origamis nous installent dans une douce nostalgie et nous retrouvons nos bateaux en papier au sein du décor de la pièce. Isabelle Royanette, habile, nous implante dans son théâtre immersif aux coordonnées d’un espace-temps merveilleux : nos classes de primaire. Nous revivons l’époque des remises de copies avec les petites sadisations d’élèves en public, les petites humiliations réputées éducatives. Ce trauma de l’enfance est autrement douloureux pour la dyslexique abonnée aux fautes d’orthographes. Lentement cette élève, Isabelle, s’éloigne secrètement de la causerie générale, lentement elle dissimule son sui generis.
Un dyslexique par réflexe et nécessité fomente son rapport décalé au langage. Très vite il se couvre d’un masque pour feindre de faire comme tout le monde. Et il quitte le continent du langage pour son île. Isabelle Royanette nous emmène en ce voyage. La comédienne est riche du magnétisme des personnes convaincues et enthousiastes, riche de sa voix particulière empathique et rebelle. Elle nous vient forte de son intelligente aiguisée, de sa dérision fine et joyeuse aussi.
Deux écrans encadrent le plateau; sur chaque écran une vidéo captée en direct. Le dispositif est inédit. Il veut signifier le trouble et le filtre que chaque dyslexique rencontre dans son rapport au monde et à l’autre. Il figure aussi la distorsion pratiquée par le masque à porter. L’invention est formidable et l’expérience du spectateur est instructive. Les deux personnages rejetés sur une île doivent apprendre à survivre. Pour lancer leur SOS, ils inventent une galerie de personnages pour interroger la difficulté des dyslexiques à vivre dans un monde où l’orthographe est le marqueur de l’intelligence. La pièce est saisissante. Elle est vertueuse par sa pédagogie, édifiante par sa scénographie. Nous éprouvons les empêchements du dyslexique et sa déréliction. Au loin, on repère un dilemme bien plus universel : à la manière des dyslexiques, sommes nous tous étranger à la langue qui toujours rate à tout exprimer?
Dislex
17 et 18 mars 2020 Théâtre-Maison d’Elsa, Jarny
25 mars 2020 Les Rotondes – Luxembourg
Photo : ©Sinisa Galic