
Britannicus à La rose des vents : pouvoir et passion en déséquilibre
A La rose des vents, Françoise Delrue met en scène Britannicus, tragédie politique et drame amoureux du grand Racine. C’est la première fois que la metteur en scène se frotte à Racine, et le défi est plutôt réussi.
L’histoire est bien connue, rappelons-en les fondamentaux : après avoir fomenté moults complots, dont l’assassinat de son propre mari, Agrippine a réussi à faire monter son fils Néron sur le trône de Rome, au détriment de l’héritier légitime, Britannicus. Celui-ci est fou amoureux de la belle Junie, qui l’aime en retour. Jusqu’au jour où Néron croise le regard de la jeune femme, et décide de la ravir à son rival. Agrippine a beau tenter de dissuader son fils, qui met en péril son statut d’empereur en voulant séduire Junie, mais en vain… Néron fait assassiner Britannicus, Junie devient vestale, et c’est le début d’une période de grands troubles pour Rome, sous la férule d’un tyran mégalomaniaque.
Avec un simple plan incliné vers le public recouvert de tapis orientaux déchirés aux couleurs chaudes, un gros fauteuil de cuir usé au centre, et un gradin côté cour, la scénographie met l’acteur au centre de la scène : juché sur les gradins ou en déséquilibre sur la scène, les comédiens trouvent le fauteuil en point d’ancrage, comme une bouée à laquelle se raccrocher quand tout s’écroule autour de soi. On regrettera l’intrusion de projections vidéo et de musique tendance techno, qui n’apportent pas grand chose à la mise en scène, d’autant plus que les images vidéo sont difficiles à percevoir alors qu’elles sont projetées sur le gradin. L’utilisation de musique trouve sa justification à un moment précis : alors qu’Agrippine énumère à Néron tous les sacrifices qu’elle a fait pour qu’il devienne empereur, tout en tentant de le convaincre de renoncer à Junie, la musique s’intensifie et finit par noyer ses paroles, montrant ainsi que Néron n’écoute plus sa mère, et ne se concentre que sur sa volonté fratricide de ravir Junie à Britannicus.
Saluons la prestation de Baptiste Sornin en Néron : jeune et fou, il parvient à trouver ce point délicat de la vie de l’empereur que décrit Racine dans sa pièce. Néron est à peine sorti de l’adolescence, il agit presque comme un enfant en voulant s’approprier la dulcinée de son frère. Cependant, l’âge adulte, le futur empereur qui restera dans l’histoire, est bien là dans les actes du jeune homme, qui résout tout problème par le sang. A ses côtés, le reste de a troupe s’en sort avec honneur – Joseph Drouet, en particulier, campe un Narcisse tout en nuances, alors qu’il distille son poison en convainquant Néron d’assassiner Britannicus. Marie Lecomte, qui joue Junie, déçoit un peu : sa maîtrise de l’alexandrin n’est pas aboutie, et elle précipite les mots en oubliant de respirer.
Une production intéressante, pleine de bruit et de fureur, qui offre un point de vue intelligent sur cette tragédie de l’amour et de pouvoir.
Visuel © Eric Legrand