[Avignon Off] Des clowns en noir et blanc envahissent la ville et « Arturo Ui »
Au Théâtre de l’Oulle, La Résistible Ascension d’Arturo Ui est menée par des clowns. Bertolt Brecht acquiert du lyrisme grâce à la mise en scène en noir et blanc de Victor Quezada-Perez. Servie par ailleurs par de très bons comédiens.
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Le rideau s’ouvre sur un décor de ville pluvieuse. Au pied de laquelle s’étend un damier. Nulle sinistrose en perspective, cependant : les protagonistes de cet Arturo Ui ont tous… des nez rouges. Ce n’est pas pour autant que la pièce sera drôle : on le sait tous, Arturo Ui, le bandit de Chicago, c’est Adolf Hitler. Qui va se rapprocher de l’homme presque intègre qui contrôle la ville (l’Allemagne, en fait), acquérir la mainmise sur l’alimentation, ici le chou-fleur, puis éliminer des collaborateurs gênants… Que provoquent-ils donc chez nous, ces clowns en noir et blanc qui s’affrontent sur fond de teintes semblables ? Ils font suinter un lyrisme épuisé, désespéré. Dans lequel la langue de Bertolt Brecht, artificielle, trouve sa place. Tout semble joué d’avance, dans cette version : l’opposition des couleurs, simple, laisse présager la prise de pouvoir future… Une tristesse étrange ressort des chants et notes de piano, employés pour accompagner l’action… Le jeu à la fois physique et dans le sensible des comédiens s’insère bien dans cette vision.
Chacun dans son registre, ils sont excellents. Le jeune Elie Salleron, qui joue Arturo, est d’une justesse étonnante dans la mesure où il laisse transparaître, sous la dureté du criminel, une sensibilité, que son âge accentue. Une envie de parvenir au sommet. C’est le mérite du spectacle de permettre à de tels moments d’émerger, sous le schéma brechtien. Il n’a pas tout cédé au démonstratif. Et sans doute ce caractère sensible chez Arturo doit-il être d’autant plus effrayant… Un contrepoids lui est offert par Lucas Hénaff, l’interprète de Gobbola, clown fleuriste spécialiste du meurtre, qui rit fort et allègrement à chaque méfait. Autour de ces protagonistes, quelques éclaircies comiques sont offertes par… les femmes. Par Ewa Rucinska en particulier, clownesse-pianiste douée lorsqu’il s’agit de saboter les procès ou de plaisanter lascivement autour de son compagnon, en l’occurrence Gobbola le meurtrier. Mais dans l’ensemble, c’est un lyrisme désespéré qui traverse le plateau. Certains moments, traversés de cris, ne font pas leur effet. On eût aimé, en lieu et place, du calme. Des clowns lancés à fond dans le fatalisme, atteignant à la noirceur complète. Mais la mise en scène de Victor Quezada-Perez, qui sait être esthétique, nous fait bien parvenir ce lyrisme. Et donne une dimension à cette triste histoire, sans doute pas finie hélas.
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Visuel : © cie Umbral