Spectacles
“Saint-Félix” d’Élise Chatauret : le théâtre documentaire en jeu

“Saint-Félix” d’Élise Chatauret : le théâtre documentaire en jeu

13 March 2019 | PAR Simon Gerard

En mars, Le Centquatre-Paris propose à ses publics une création d’Élise Chatauret à la croisée des genres et des théâtralités. Pièce de peu de moyens et d’une grande sensibilité, Saint-Félix est à l’image du hameau qu’elle explore : humble, curieuse, et empreinte d’une belle gravité.

Jouer au documentaire

À un premier degré d’analyse, Saint-Félix a tout l’air d’une enquête privée sur Lucie, jeune trentenaire au mode de vie atypique ayant décidé de s’installer dans le petit hameau de Saint-Felix avec son compagnon, avant de mourir peu après son emménagement dans des circonstances inconnues. On suit l’équipe de la metteuse en scène dans un récit éclaté par lequel on en apprend plus sur Lucie, évidemment, mais aussi sur Saint-Félix, symbole d’une campagne française extraordinaire tant par son échelle que par son éloignement de nos préoccupations urbaines.

Saint-Felix a l’originalité d’exploiter le genre documentaire à la fois comme objet et sujet. Les témoignages de villageois récoltés sur place par la metteuse en scène et son équipe sont interprétés sur scène par quatre comédiens dont le jeu respire le réel — qu’il s’agisse aussi bien des mots et des expressions que des tons, des regards et des gestes. Pour autant, on est loin d’un théâtre documentaire à la Milo Rau chez qui le témoin, présence viscérale du plateau, se livre à un public paralysé par l’injection d’une dose intense d’expérience. Non, avec Saint-Felix, c’est le genre documentaire lui-même est mis en regard, interrogé — et la pièce gagne alors en profondeur.

L’économie de jeu et de moyens choisie par Élise Chatauret y est pour quelque chose : sans témoignage direct ni réalisme photographique, on est invité à se projeter, à imaginer. L’éternel motif de l’interview question-réponse se voit écartelé en moments distincts pour que le public en décèle mieux les logiques, les non-dits et les déséquilibres : les réponses précédant les questions, le spectateur se distancie alors du sujet « Saint-Felix » pour se concentrer sur l’objet « investigation », la motivation même d’un tel projet. En somme, dans Saint-Felix, le public a un statut ambivalent : il est cette caméra sensible qui recueille les mots et les images de ces acteurs « jouant à témoigner ». La scène finale, magnifique reconstitution de témoignage oscillant entre le théâtre de marionnette et la pièce sonore, confirme cette idée : un écran transparent est tombé à l’orée du plateau-forêt, comme le filtre du présent appliqué sur un souvenir vécu.

Quand le théâtre se sauve

De ce regard distancié porté par Élise Chatauret sur les fondements de sa propre pratique, il en résulte une réflexion inventive sur les ressorts moraux de la pièce. De quel droit une équipe artistique vient déranger la vie paisible de Saint-Félix et de ses habitants ? Pourquoi l’auteure s’intéresse-t-elle à un fait divers auquel elle n’est pas personnellement liée ? Se pose la question évidente de la légitimité, non pas de la pièce, mais du processus de pensée conduisant à la pièce. Saint-Félix a été « choisie » par Chatauret parce qu’elle était marquée par la mort de Lucie : c’est le supplément d’âme du hameau, ce petit quelque chose qui l’investit d’une certaine théâtralité. Nouée de contradictions, la pièce voit ses nœuds moraux peu à peu démêlés par une inventivité scénique teintée d’un grand sens de l’honnêteté et de la transparence. Dans un intermède de théâtre de marionnette, le travail documentaire d’Élise Chatauret est moqué, exagéré, tordu. Saint-Félix est sauvé par le rire et la poésie — et tout est pardonné.

 

Crédits photos : ©Hélène Harder

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