
Un Lohengrin qui donne des ailes à St-Etienne
L’Opéra de Saint-Etienne termine sa saison avec un nouveau challenge : son tout premier Lohengrin, ici mis en scène par Louis Désiré dans une nouvelle production, en coproduction avec l’Opéra de Marseille. Disons-le d’emblée : ce coup d’essai est un coup de maître et la réussite est flagrante, tant pour sa mise en scène que pour ses voix, ou encore sa direction. Un vrai plaisir de bout en bout!
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Les débuts de la production se sont pourtant montrés houleux : outre le remplacement de Jean-Philippe Lafont initialement prévu dans le rôle de Telramund par Laurent Alvaro, l’Opéra annonçait le 23 mai dernier que Jean-Noel Briend devait renoncer “pour des raisons personnels” au rôle de Lohengrin! Pour le plus grand bonheur du public, c’est Nikolai Schukoff qui, parallèlement au héro, est venu sauver cette production, et quel sauveur! Si son Eleazar de Lyon hante encore les esprits, son Lohengrin est tout aussi remarquable. Son timbre particulier, qui laisse entendre une tension naturelle dans la voix, séduit la public qui lui réserve un accueil fort chaleureux au moment des saluts. Le chant est assuré, laissant entendre de beaux aigus, notamment lors de son air “In fernem Land”. Face à lui, le baryton Laurent Alvaro donne à voir et à entendre un Frédéric de Telramund terriblement humain, manipulé par Ortrud. La voix suit ici parfaitement la psychologie et les intentions du personnage, entre douceur, doute, colère, ou encore honneur bafoué.
Le roi, Henri l’Oiseleur, est pour sa part interprété par Nicolas Cavallier qui, de même que ses confrère, réjouit le public par son interprétation sobre et… royale! Quant au héraul de Philippe-Nicolas Martin, là aussi, comme pour ses collègues, la projection est claire et assurée, en parfaite adéquation avec le personnage et la partition.
Les deux femmes de l’histoire ne sont pas en reste côté voix, même si la Elsa de Cécile Perrin manque quelque peu de graves et reste trop en retrait scéniquement : si l’on y voit là une marque de dévotion et d’humilité, on en oublie aussi parfois qu’elle est un véritable personnage principale et non un secondaire. Ceci n’est toutefois qu’un léger bémol sur la totalité de la prestation de la soirée, la soprano usant non seulement de beaux aigus mais aussi de pianissimi fort agréables. Enfin, Catherine Hunold vient clore cette distribution de compétition avec une Ortrud qui foudroie par son charisme : nul besoin de chanter pour occuper l’espace scénique et pour que les yeux se tournent vers elle. Loin de faire de ce personnage une sorte de folle vengeresse, elle l’humanise et complexifie cette femme tourmentée et dévorée par son désir de vengeance.
La mise en scène de Louis Désiré vient embellir cette distribution : sobre, dépouillé du moindre faste, elle met en balance deux murs transparents, l’un rempli de livre, univers d’Elsa et de Gottfried, l’autre d’armure, univers d’Ortrud et de Telramund. Le frère et la soeur sont par ailleurs les seuls personnages vêtus de blanc, symboles de leur lumière spirituelle face aux Ténèbres, notamment ceux des dieux païens que représente Ortrud. Le prologue mis en place durant l’ouverture permet de plonger le spectateur directement dans l’action en lui montrant la trahison d’Ortrud qui attaque Gottfried, entourant son visage de ses mains d’où sortent alors deux lumières, puis enfonçant le jeune homme dans le sol, symbolisant alors sa métamorphose en cygne (que l’on apprendra à la fin de l’oeuvre). Toutefois, ce sont les lumières de Patrick Méuüs qui confèrent toute l’atmosphère au fil des 4 heures de spectacles : la pénombre, le jeu de semi-éclairage, la variation de l’intensité de lumière ou bien de couleur (Ortrud baignant dans une lumière rouge lorsqu’elle invoque Woton, braquant la lumière de ses mains vers le public), etc… A quelques moments, l’on croit voir une certaine dénonciation du patriarcat présent dans l’oeuvre sans toutefois oublier la dimension religieuse, celle qui marque le spirituel au-dessus des hommes, comme le montre l’image de fin : Gottfried revient sous sa forme humaine, se trouve couronné et illuminé de lumière blanche, mais le peuple et les autres solistes lui tournent déjà le dos, regardant là où Lohengrin a disparu.
Dernier élément de cette soirée sans fausse note, le chef Daniel Kawka à la tête des 80 musiciens de la fosse. Rarement l’on entend une direction aussi fluide, harmonieuse et équilibrée, laissant la place aux voix, rehaussant les instruments sans exagération lorsque cela était possible, plaçant les cuivres de manière à créer un effet de spatialisation des plus efficaces. Les choeurs, composés d’une soixantaine de chanteurs, terminent de consacrer cette production, le seul bémol les concernant étant la mise en scène qui les concerne parfois répétitive, et plus particulièrement l’idée de les positionner en ligne au devant de la scène lors de leurs chants. Pour le reste, ils parvienne à faire ressortir les différents timbres de voix qui les composent tout en affirmant leur puissance.
Une production de premier ordre qui ne souffre finalement d’aucune véritable faiblesse et qui aurait de quoi faire aimer Wagner, même aux plus réticents…
©Cyrille Cauvet