“Tristan et Isolde” : les sublimes filtres d’amour de Bill Viola ne charment pas Bastille
Les deux Autrichiens qui interprètent les rôles-titres, Andreas Schager et Martina Serafin, sauvent la mise en scène paresseuse que Peter Sellars a conçue pour le chef-d’oeuvre de Richard Wagner.
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Avec Roméo et Juliette, c’est certainement l’une des passions amoureuses tragiques les plus mythiques de la culture européenne. “Tristan du, ici Isolde, niche mehr Tristan ! Du Isolde, Tristan ici, niche mehr Isolde !” A lui seul, cet extrait de l’adaptation opératique de Richard Wagner dit tout de la dissolution de deux êtres l’un dans l’autre et de l’universalité de la légende médiévale. Créée en 1865 à Munich, l’oeuvre en trois actes est une ode à l’amour que le compositeur allemand a conçue en s’inspirant de ses sentiments pour la poétesse Mathilde Wesendonck.
Mardi 11 septembre, après 5 h 20 de représentation (deux entractes inclus), le public de Bastille est sorti de la première de la reprise sous le charme, ensorcelé par l’orchestration merveilleuse de Philippe Jordan (ce thème sublime si aisément reconnaissable dès les premières notes) et par la partition vocale interprétée brillamment par le ténor Andreas Schager et la soprano Martina Serafin. Côté mise en scène, c’est pourtant un sentiment partagé qui domine.
Travail esthétisant de Bill Viola
Les vidéos de l’Américain Bill Viola, qui accompagnent toute l’oeuvre depuis la première mise en scène de son compatriote Peter Sellars en 2008, sont d’une grande beauté. Jouant avec les éléments, en particulier l’eau et le feu, les séquences filmées, très souvent esthétisantes, appuient la dramaturgie de l’opéra et interviennent de manière allégorique dans la narration. “Les images sont destinées à fonctionner comme des représentations intérieures et symboliques (…). Elles retracent le mouvement de la conscience humaine jusqu’à (…) l’abandon à un amour absolu et dévorant”, écrivait Bill Viola dans les “notes d’intention” qui figurent dans le programme de Tristan Project au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles en 2004.
Esthétisant à souhait, le travail du vidéaste – qui avait fait l’objet d’une rétrospective en 2014 au Grand Palais à Paris – est accompagné d’une scénographie dépouillée (bel euphémisme) et franchement paresseuse. En guise d’unique élément de décor, un bloc rectangulaire noir sur lequel s’assoient ou grimpent les personnages. Les costumes signés Martin Pakledinaz sont erratiques. Et aussi bienvenue soit-elle, la seule idée pour rendre le récit moins statique – faire intervenir des chœurs derrière le public de la fosse et dans les balcons – ne brille pas par son originalité.
Les images de Bill Viola, véritables filtres de l’amour passionné qui accompagnent les philtres d’amour d’Isolde, sont belles. Très belles. Trop belles. Au point qu’on finit par ne s’intéresser qu’aux images et qu’on en oublie qu’il y a des interprètes sous l’écran. La place disproportionnée de la vidéo est autant un atout qu’un inconvénient. Et c’est fort dommage, puisque les rôles-titres, tenus par les Autrichiens Andreas Schager et Martina Serafin, offrent une performance aussi dense que la partition. Le cœur de l’acte II, quand Tristan et Isolde vivent leur passion au plus fort, et la fin de l’acte III, où Isolde pleure son bien-aimé, constituent de véritables moments de grâce.
Tristan et Isolde, de Richard Wagner, mis en scène par Peter Sellars. Avec Andreas Schager, René Pape, Martina Serafin, Matthias Goerne… Jusqu’au 9 octobre. Plus d’informations sur le site de l’Opéra de Paris.
Crédits photos : Vincent Pontet / OnP
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2 thoughts on ““Tristan et Isolde” : les sublimes filtres d’amour de Bill Viola ne charment pas Bastille”
Commentaire(s)
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Nicolas
Je n’ai pas eu l’occasion de voir ce magnifique opéra, en tout cas la vidéo d’une minute donne des frissons dans le dos !
Basile
Ceci devait être un très bel opéra.