
Une reprise dans la vastitude de Bastille
Créé à Garnier en 2004, le doublé L’Heure espagnole – Gianni Schicchi mis en scène par Laurent Pelly n’avait jamais été redonné à l’Opéra national de Paris. Il revient à l’affiche, à Bastille cette fois, et donne à entendre les débuts de Maxime Pascal dans la première institution lyrique de France.
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A force de ne la voir jamais reprise, on avait fini par la croire déclassée. La production de Laurent Pelly associant L’Heure espagnole et Gianni Schicchi présentée en mars 2004 à Garnier, en coproduction avec le Seiji Ozawa Project, pour le grand chef japonais. Comme Ariadne auf Naxos du même Pelly, imaginée en 2003 sous le plafond de Chagall et redonné dès la saison suivante à Bastille, le doublé Ravel-Puccini subit également le même soir – avec quatorze ans d’écart.
Ce qui ne posait pas de problème majeur pour Strauss, même si le chatoiement orchestral y était peut-être davantage poli, se révèle plus discutable dans l’intimisme pour grand orchestre de Ravel. Le décor, dessiné par Florence Evrard et Caroline Ginet, où s’amoncelle un capharnaüm ménager qui dépasse la passion horlogère, donne l’impression d’une immensité où se perd l’ironie subtile et piquante du livret de Franc-Nohain comme dans la partition ravélienne. Les chanteurs semblent contraints d’appuyer les effets pour capter l’attention. La force comique de la direction d’acteurs paraît peu coordonnée, diluant la saveur inimitable de l’ouvrage. Le plateau vocal, qui réunit la fine fleur de la nouvelle génération du chant français n’est pas en cause, et fait honneur à la lisibilité de la déclamation, même si les emplois ne sont pas tous naturels. La générosité vocale de Clémentine Margaine, au timbre rond et charnu, est contrebalancée par une théâtralité un peu lourde, au-delà de l’ambiguïté suggestive du texte. Stanislas de Barbeyrac livre un Gonzalve soigné, dont l’aisance viendra sans doute avec le temps – peut-être sur d’autres productions qui ne l’affubleront pas d’une perruque le rendant méconnaissable. Philippe Talbot affirme un Torquemada léger et délié. Jean-Luc Ballestra fait un solide Ramiro, le muletier, quand Don Iñigo Gomez revient à un Nicolas Courjal sans faiblesse, mais moins marquant que lors de ses récentes incarnations dramatiques – dans Wagner ou Rossini par exemple.
La question des dimensions de la salle s’avère moins handicapante pour Gianni Schicchi, et la mise en scène de Laurent Pelly a sans doute été davantage inspirée par l’oeuvre elle-même. La perspective d’armoires qui tient lieu de panorama urbain avec ses campaniles est habilement mis en valeur par les lumières de Joël Adam, et plonge le spectateur autant dans les tribulations successorales des Donati qu’au cœur d’une Florence onirique. Mais c’est surtout l’efficacité du travail avec les ensembles, où l’on reconnaît la pâte comique du metteur en scène français, qui donne son relief à cette seconde partie de soirée, quand bien même elle sent un peu la reprise. Côté voix, l’incarnation d’Artur Rucinski domine largement la distribution, et réjouit les zygomatiques avec son imitation du défunt, sans pour autant accéder à une authentique aura. Pour le reste, les bonheurs sont divers. Elsa Dreisig offre une Lauretta charmante, aux côtés du Rinuccio irrésistiblement lyrique et premier degré de Vittorio Grigolo. On retrouve des solistes de la première partie : Philippe Talbot (Gherardo), Nicolas Courjal (Betto), ou Jean-Luc Ballestra (Marco). On mentionnera d’autres noms familiers aux mélomanes français : Emmanuelle de Negri (Nella) ou Isabelle Druet (La Ciesca). Maurizio Muraro campe la bonhomie attendue dans Simone. On ne s’attardera pas sur la pâle Zita de Rebecca De Pont Davies, pour ne rien dire de sa justesse. Médecin (Pietro di Bianco, Spinellocio), ainsi que notaire et témoins (Tomasz Kumiega, Amantio du Nicolao ; Mateusz Hoedt et Piotr Kumon, respectivement Pinellino et Guccio) complètent le tableau avec le pépiement de Gherardino, confié à Etienne David, de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.
Dans la fosse, Maxime Pascal, l’une des baguettes françaises montante, fait ses débuts à l’Opéra national de Paris. Son Ravel résonne avec un raffinement intelligent, passablement tempéré par la neutralité acoustique d’une salle trop vaste pour l’ouvrage. Dans Puccini, le résultat n’a pas la même constance, et porte l’empreinte d’une prudence compréhensible, mais qui atténue parfois le mordant ironique de la partition. La finesse de certains éclairages sur les couleurs orchestrales ne suffit pas toujours.
Gilles Charlassier
L’Heure espagnole, Ravel ; Gianni Schicchi, Puccini, mise en scène : Laurent Pelly, Opéra national de Paris, du 17 mai au 17 juin 2018
© Svetlana Loboff / OnP