Opéra
“Pygmalion” de Rameau et “Amour et Psyché” de Mondonville génialement mondialisés par Robyn Orlin à l’opéra de Dijon

“Pygmalion” de Rameau et “Amour et Psyché” de Mondonville génialement mondialisés par Robyn Orlin à l’opéra de Dijon

24 May 2018 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’au 27 mai, Emmanuelle Haim, le Concert d’Astrée et Robyn Orlin revisitent deux œuvres françaises du XVIIIe siècle sur l’amour à l’Opéra de Dijon. Un carnaval aussi universel que génial.

[rating =5]

Dans la nouvelle production de l’opéra de Dijon, la chef d’orchestre Emmanuelle Haim et la chorégraphe Robyn Orlin ont « cousu » ensemble (ou presque) deux opéras mythologiques du XVIIIe siècle: Le Pygmalion de Rameau (1748) et l’Amour et Psyché de Mondonville (1758). Ce sont aussi deux manières de s’emparer des métamorphoses pour parler de l’amour au pluriel : narcissique et dominateur d’un côté, inconditionnel et réellement divin de l’autre.

Dans Pygmalion, le festin, les déclarations et la danse sont entrelacés en permanence, mais aussi toujours contenus sur la moitié droite de la scène. A gauche, un grand écran propose un collage qui fait penser à un vitrail et qui est à l’image de la scénographie imaginée par Robyn Orlin. Dans cet opéra où la créateur veut décider de tout pour sa créature, Robyn Orlin a beau surmonter certains contours et lui donner un petit côté West Side Story, tout est parfaitement asymétrique et, à l’aune de l’interprétation parfaite du Concert d’Astrée, tout semble stabilisé dans une fête baroque annoncée. Dans le rôle-titre Reinoud van Mechelen est impressionnant de charisme et de maestria. Magali Léger est une statue sublime et en Cephise, Samantha Louis-Jean est l’atout beauté de cette première partie.

Au terme de ce Pygmalion, où l’on se dit que finalement la convention de l’opéra-ballet s’adapte parfaitement au jour d’aujourd’hui. Nous pourrions donc croire qu’Orlyn a accepté de faire rentrer dans un beau jardin à la Française les corps de ses danseurs. Mais Amour et Psyché vient nous réveiller : c’est de manière frontale que l’on entre dans les loges d’une grande histoire: de cinéma, d’amour et de sacrifice. Bref Bollywood s’empare des mythes grecs pour un carnaval qui va nous emporter dans une heure de mouvement et de beauté. Alors que deux postes fixes latéraux et une caméra mobile vont projeter leurs captations en direct, l’orchestre en premier, bondit hors de sa fosse. Emmanuelle Haim est flamboyante dans sa robe rouge, sa direction à mains nues n’a jamais été aussi vivante aussi passionnée et ses musiciens du Concert d’Astrée portent également les couleurs de la passion.

Le jour tombe, le vent se lève et l’on assiste à un moment d’explosion visuelle avec un jeu de collage filmé en direct où plusieurs couches se superposent, mêlant les corps des danseurs et les voix des chanteurs, dans un Panthéon toujours en mouvement. Maquillées et divines, Tisiphone (Victor Sicard, déesse à barbe au timbre profond et génial acteur et danseur de la traversée des genres) et Psyché (Magali Léger de plus en plus impressionnante) chantent leur courroux, cadrées par l’écurie de deux danseurs qui interprètent Rameau comme la mélopée originale des corps. Passant sous les sièges et les miroirs de leur loge, les belles femmes en noir du chœur se glissent à genoux vers le centre de la scène pour chanter le plaisir de plaire. Leur assemblée s’ajoute aux danseurs et aux dieux sur l’écran qui double, trouble et aplanit tout.

Poudré d’or jusqu’aux yeux, en ange disco, Amour (Armelle Khourdoïan) chante la constance de sa flamme pour Psyché tandis que, lunettes de soleil et sape ajustée, un danseur désarticule son bassin sur des rythmes urbains orliniens irréductibles. Tandis que le tonnerre baroque retentit et que des éclairs illuminent toute la scène, l’écran pixelise et l’on tangue avec les éléments et les dieux. A la scène six, c’est le chœur des hommes qui s’avance à genoux pour chanter l’apocalypse. Le noir et blanc arrivent sur l’écran avant de laisser place au rouge des flammes de l’enfer : les visages se dupliquent dans un sabbat aussi beau qu’impressionnant et des serpents font leur apparition en 2D. Le visage de Psyché est distordu et Magali Léger nous émeut dans “J’ai perdu mes attraits”. Escortée comme une star et suivi par la caméra, Amour la rassure “Votre éclat frappe tous les yeux !»

Place au corps et à la danse dans un final où le rouge des sentiments se superpose à la simplicité de tenues en coton blanc. C’est un sabbat un peu long, un peu gratuit mais où Emmanuelle Haim exprime une intensité presque sauvage. Ça chante et ça danse et ça vit, à la hauteur de la constance et de la puissance de l’amour dans un salut ovationné où la chef d’orchestre et la metteuse en scène viennent chalouper de grand cœur avec leurs danseurs et leurs chanteurs.

Un très grand moment où le visuel et la musique se font la courte échelle pour nous faire atteindre l’essentiel.

Durée : 2:15 avec entracte
visuel : ©affiche du spectacle

Infos pratiques

Maison de l’Amérique Latine – Strasbourg
Musée des Plans-reliefs
Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

2 thoughts on ““Pygmalion” de Rameau et “Amour et Psyché” de Mondonville génialement mondialisés par Robyn Orlin à l’opéra de Dijon”

Commentaire(s)

  • moonmandk

    Ayant assisté ce soir à la représentation, je tiens à vous faire partager mon ressenti. La musique est sublime et les chanteurs et musiciens ont vraiment su rendre grâce au génie de Rameau pour Pygmalion et de De Mondoville pour l’Amour et Psyché (rendons à César…). Par contre, mais ce n’est que mon humble avis, quelle déception pour la mise en scène et les chorégraphies qui ne mettent pas en valeur la richesse de la musique. L’originalité pour l’originalité très peu pour moi quand je n’en comprends pas le sens et quand j’ai l’impression qu’elle n’est là qu’en prétexte. J’ai regretté à la fin que les chanteurs se présentent accompagnés de leur double “danseur” car tous mes applaudissements étaient pour eux et l’orchestre.
    Je ne sais pas si j’étais la seule dans ce cas. Mais à écouter les conversations autour de moi il ne me semble pas.
    Alors merci plus jamais. Mieux aurait valu une version concert des opéras.

    May 26, 2018 at 0 h 09 min
  • Avatar photo
    Yaël Hirsch

    Merci pour ce retour. Je n’ai malheureusement pas pu voir le spectacle en vrai. Le projet était assez beau pour que j’en parle et la BD aussi. Désolée que cela ne vous ait pas convaincu (e).

    September 22, 2018 at 17 h 19 min

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