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Milo Rau, “Familie” : les cordes s’étirent, jeu se joue

Milo Rau, “Familie” : les cordes s’étirent, jeu se joue

06 October 2020 | PAR Simon Gerard

Présenté au Théâtre des Amandiers dans le cadre de la dernière édition du Festival d’Automne à Paris, Familie est une pièce d’une grande intelligence plongée dans le désespoir le plus profond. 

Le recul nécessaire

Familie est un projet d’une grande délicatesse : le faits divers morbide autour duquel il gravite n’est au final évoqué que par le prisme d’une famille de comédiens qui décide d’en explorer les tréfonds humains, sociaux et métaphysiques.

En cela, le sujet de la pièce n’est pas un suicide collectif, mais bien — et Milo Rau commence désormais à nous y habituer — le théâtre lui-même : son pouvoir de représentation, et sa capacité morale à traiter de tout sur un plateau.

Une telle distanciation — la classique pièce dans la pièce — autorise dès lors une liberté bienvenue dans la représentation des faits, effectuée avec une intelligence — parfois une beauté — qui font l’effet d’un appel d’air dans la lourdeur émotionnelle de la pièce.

Aussi le public se retrouve-t-il régulièrement saisi d’un doute : est-ce la famille Demeester que je vois discuter, cuisiner, manger, lire, pleurer, déprimer — ou alors la famille de comédien·e·s qui l’incarnent, les Peeters ? Si au départ, le proscenium et l’appartement reconstitué sur le plateau sont deux espaces clairs délimitant deux degrés de jeu distinct, cette division devient rapidement poreuse. Les comédiens qui témoignent à propos la pièce en cours laissent percevoir les signes d’une dépression que pourrait très bien être celle ressentie par un membre de la famille Demeester ; les regards échangés sur le plateau dépassent parfois le simple jeu, révélant un lien de parenté criant de sens entre les individus en présence ; parfois même, comme une épiphanie, on croit voir la famille Peeters échanger avec un membre de la famille défunte.

Familie n’est donc pas le re-enactment d’un suicide collectif — projet qui serait moralement trouble et peu justifiable — mais bien son honnête tentative, enrichie d’une humanité directe et concernée : celle d’une famille à la composition similaire.

Qu’en tirer ?

Évidemment, le théâtre n’est pas seul en scène. Du fait divers au fondement de Familie jaillit un flot d’idées noires, visibles notamment en creux des mots et au coin des bouches. On retrouve ici les apports immense du gestus brechtien, par lequel est montré en peu d’actions une humanité faite de doutes, d’angoisses, de culpabilité et d’abattement. On distingue un propos fort : une famille normale, c’est une famille anormale, irrégulière, dont les membres alternent entre empathie collective et isolement égoïste. Il n’y a pas de famille parfaite. Rechercher une famille au fonctionnement idéal revient à vouloir l’immobiliser dans du formol pour mieux la conserver indemne – mais sans vie. 

En cela, le dernier jour des Demeester est insupportable car il est un jour comme un autre : c’est le dernier de leurs quotidiens parfaits. Même l’approche assurée de la mort ne parvient plus à donner du regain à leur vie. Le chant des oiseaux, le passage des voitures – tout est d’une insupportable banalité. Alors nous les voyons tuer le temps, abandonner l’usage du futur, se préparer… Et tomber.

Informations pratiques : 

Du 3 au 10 octobre au Théâtre Nanterre Amandiers

Visuels : 

Michiel Devijver

Infos pratiques

Odéon Théâtre de l’Europe
Les Gémeaux
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