Until the lions: Akram Khan danse au royaume du beau
En travaux, le Théâtre de la Ville présente hors les murs à la Villette la dernière création d’Akram Khan, Until the Lions. Créé en Janvier 2016 à Londres, le spectacle est une adaptation du livre du poète Karthika Naïr et joue la carte du beau impérial sur fond de tragédie ancestrale. Parfaitement maîtrisé, il dépasse les clivages du figuratif et du conceptuel et rassemble dans une forme de beauté universelle.
[rating=4.5]
7 ans: c’est l’âge d’Akram Khan lorsqu’il s’initie au Kathak, cette danse traditionnelle du nord de l’Inde. A 13 ans, le plus Bangladeshi des chorégraphes britanniques participe à la production fleuve (9 heures) de Peter Brook adaptée de l’épopée sanskrite du Mahabharata. Son histoire chorégraphique est celle d’un dialogue permanent entre les codes esthétiques et les valeurs de l’hindouisme et l’occident.
Until the Lions s’inscrit dans cette continuité. Adapté du livre de la poétesse Karthika Naïr Until the Lions: Echoes from the Mahabharata, qui met en lumière les histoires cachées du Mahabharata à travers les personnages méconnus de la mythologie hindoue, le spectacle raconte l’histoire d’Amba, une princesse enlevée le jour de son mariage qui invoque les dieux pour se venger. Le noeud dramatique, apparemment assez simple, se noue en réalité autour d’enjeux beaucoup plus complexes qui échapperont rapidement au public non averti. On suivra donc le show en aveugle, mais il est de taille.
La Grande Halle de la Villette offre un cadre parfait à toutes formes de démesure, et le spectacle en tire pleinement sont parti. Les gradins sont montés en cercle autour d’une souche d’arbre XXL, d’où s’échappent des fumerolles inoffensives. Installé, le public prend peu à peu conscience de ce qu’il a devant les yeux. Des lances de bambou sont plantées dans les craquelures du tronc dessinent le parcours des combattants tandis que sur le sol gît, éclairée par un faisceau dramatique, une tête bleue. On se dit très spontanément que Terrence Malick aurait pu tourner Le Nouveau Monde sur ce plateau. Des baffles crachant de très basses fréquences donnent la touche finale à ce décor inhospitalier. C’est toute la Grande Halle qui tremble – ou est-ce une illusion?
L’entrée en matière est mordante et glacée. La danseuse Christine Joy Ritter arrive tapie dans l’ombre en féline prête à bondir sur sa proie. Sa danse est stupéfiante, terrienne, claquante, virile, elle est un animal pris sur le vif. Pas moins de quatre musiciens prendront place autour d’elle. Des incantations vaguement inquiétantes sont proférées, un murmure court, «a curse». Très vite gagnent la scène Akram Khan himself, éblouissant en guerrier possédé, et la divine Ching-Ying Chien, dont le petit corps dégage une puissance et une justesse incroyables. Les coups frappés au sol à mains nues où avec des bois et les voix a cappella créent une polyphonie inaccoutumée qui donne un rythme enfiévré à la danse, d’une étonnante sobriété dans le délire des moyens mis en place. Le tout prend soin de rester à l’écart du maniéré et du joli et bien que très figuratif, l’exercice est un régal. Les danseurs sont habités par leurs personnages, ancrés dans leurs appuis et centrés.
Les images sont lunaires et la création lumière en est un personnage à part entière. On la doit à Michael Hulls, qui joue les démiurges avec de sublimes puits de lumière. Il faisait déjà partie du projet du solo Desh, tout comme l’écrivaine Karthika Naïr, le plasticien Tim Yip et la dramaturge Ruth Little. Le tout est parfaitement maîtrisé, au millimètre près. Pas de doute, on a affaire à une grosse production. Mais lorsque le beau est un invité de marque, que la danse est à couper le souffle, on peut faire une exception.
Visuels (c) DR
AKRAM KHAN COMPANY, Until The Lions, du 5 au 17 décembre à la Grande Halle de la Villette