
Les Ballets de Monte-Carlo : pompes et circonstances
Deux créations printanières pour une compagnie magnifique, mais dans le cadre d’un difficile renouvellement du répertoire.
Collants rouges, lumières rougeoyantes
Ouvrage d’un danseur espagnol nommé Goyo Montero, « Atman » tire son titre d’un terme sanskrit qui signifie « le moi » ou « l’âme ». « Ce mot, ce concept, écrit l’auteur, m’a entraîné vers une réflexion traitant de l’individu au regard du groupe, de l’être humain vis-à-vis de la société. Sommes-nous des entités isolées ou au contraire des individus achevés par l’interaction et le contact avec autrui ? »
Pour tenter d’illustrer cette lancinante et grave question, mille fois rabâchée par des artistes de tout poil qui se piquent d’inquiétude philosophique, trente danseurs en collants académiques rouges et des lumières elles aussi rougeoyantes dans lesquelles se noie le ballet ; une musique d’ascenseur ou d’aéroport, c’est selon, mais un sommet dans le genre et qui doit sans doute se vouloir pensante ; et une chorégraphie molle, inconsistante, d’une insignifiance à ce point décourageante qu’on l’aurait déjà trouvé regrettable il y a plus d’un demi-siècle. Les danseurs des Ballets de Monte-Carlo y sont toutefois admirables de discipline et de résignation en affluant et refluant sur scène dans le but assuré d’évoquer sans doute les douloureuses incertitudes de la condition humaine… Bref, ce n’est pas encore aujourd’hui que la danse contemporaine espagnole fera des étincelles. Et l’on aurait bien aimé n’avoir jamais eu à contempler les œuvres et manœuvres de Goyo Montero où l’on voit tout le monde s’aplatir au sol à l’extrême fin de la pièce et un « unus inter pares » se relever de cet anéantissement général pour s’en aller, songeur et solitaire, vers son lourd et combien pathétique destin.
Née en plein air
Avec « Core Meu », Jean-Christophe Maillot rompt radicalement avec tout ce qu’il a fait jusqu’à présent. Pour comprendre cette composition festive, pleine d’allégresse et d’énergie, il faut savoir qu’avant d’avoir été réécrite pour la scène d’un théâtre, elle était née en plein air, lors de l’été 2017, à l’occasion d’une manifestation, « F(ê)aites de la danse », destinée à un très large public invité à découvrir librement le monde chorégraphique sous toutes ses formes sur la place du Casino de Monte Carlo. Les Ballets de Monte-Carlo y avaient bien évidemment pris part en se lançant dans cette furieuse démonstration de savoir faire et de virtuosité qui embarque une quarantaine de danseurs, sans compter les instrumentistes de l’orchestre de musique traditionnelle d’Antonio Castrignano.
Tarentelles
Une musique d’abord très orientalisante, pour bien marquer cette influence qu’eut un long temps la culture arabe sur le sud de la péninsule italienne ; puis des mélodies chantées dans le dialecte des Pouilles et sur lesquelles, dans le Salento, qui est au sud de l’Italie ce que le Finistère est au nord de la France, l‘on danse selon la tradition de la pizzica sous l’emprise de rythmes endiablés, démoniaques qui sont ceux des tarentelles, des rythmes qui vous fouettent le sang: voilà ce qui accompagne les chorégraphies. Mais cet univers dicte impérieusement un principe auquel il est difficile d’échapper et qu’on retrouve dans la plupart des danses populaires : les femmes y sont rêveuses, plaintives, lascives, cependant que les hommes bouillonnent de vitalité, de virilité exacerbée. C’est cette dualité quelque peu éculée, mais ayant encore de longs jours devant elle, qui fait également le fond de ce ballet de Jean-Christophe Maillot. Tout le spectacle se déroule donc en séquences contrastées où à la douceur féminine répond la fougue, voire la brutalité des garçons. Du coup, on n’échappe pas aux poncifs des danses traditionnelles poncifs que l’on retrouvait aussi dans certains grands ballets de Maurice Béjart, quand ce dernier, faisant mine de se pencher sur des cultures un peu lointaines ou exotiques, les adaptait à une esthétique avantageuse, propre à flatter sans vergogne le regard de son public. Le même phénomène ne manque pas de se reproduire ici.
Des filles-fleurs
Une longue théorie de danseurs serpente tout d’abord sur la scène avant de cerner l’orchestre d’Antonio Castrignono qui en occupe le haut centre et avant que ne se déploient, dans leurs belles tuniques blanches et bleues, des sortes de filles-fleurs qui ouvrent les festivités. Cette alternance de lyrisme et d’impétuosité que l’on va découvrir tout au long de « Core Meu », ces déploiements d’interprètes qui envahissent l’espace avec générosité, cette débauche de savoir-faire et de virtuosité, le tout étant servi par des danseurs exceptionnels et racés, manifestement heureux de faire éclater leur belle énergie, leur jeunesse et leur talent, tout enchante immanquablement le public. Une telle production, voulue séduisante et dynamique, parfaitement mise en scène et fort propre à l’exportation, suscite un déferlement inouï d’acclamations chez les spectateurs qui occupent la grande salle de théâtre du Forum Grimaldi. On craint malheureusement qu’ils n’eussent jamais été aussi enthousiastes s’il se fut ici agi réellement d’un chef d’œuvre.
Raphaël de Gubernatis
Jusqu’au 28 avril. Ballets de Monte-Carlo. Forum Grimaldi, à Monte-Carlo.
Visuel : ©Jean-Christophe Maillot