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Avec “Bosch Dreams”, La Villette tente le cirque d’auteur en réalité augmentée

Avec “Bosch Dreams”, La Villette tente le cirque d’auteur en réalité augmentée

01 December 2017 | PAR Mathieu Dochtermann

Jusqu’au 17 décembre La Villette propose au public parisien de découvrir Bosch Dreams, fruit de la collaboration de la compagnie de cirque Les 7 doigts et du Théâtre République. Il s’agit d’un spectacle de cirque comme savent le faire les québécois: virtuose, très écrit, avec une mise en scène soignée. Mais il s’agit surtout d’une oeuvre sensible et ambitieuse, puisqu’elle prend le pari de plonger tête en avant dans l’univers pictural de Jérôme Bosch, animé en 3D par des projections vidéos. Fou, vertigineux, surprenant, beau, émouvant: un spectacle total à ne pas manquer.

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Qui n’a jamais rêvé de se promener dans un tableau de Jheronimus van Aken, que nous appelons en France Jérôme Bosch, particulièrement dans le panneau central du Jardin des délices?

Les moyens modernes de production d’image mis au service du spectacle vivant, cela peut donner de très bonnes choses comme de plus discutables. Bosch Dreams se démarque d’emblée de ce qu’on voit habituellement, à un double égard. D’une part, la qualité graphique de ce qui est proposé est impressionnante: le vidéaste Ange Potier a réussi à animer les peintures de Bosch, dont l’univers pictural singulier envahit la scène, en couleurs subtiles et lignes improbables. D’autre part, rarement les projections vidéos n’auront été plus intelligemment mises en avant dans le cadre d’un spectacle: superposées aux artistes ou les entourant, proposant autant des décors que des éléments d’action, liant les scènes les unes aux autres, elles sont autant de plongées immersives dans les tableaux somptueux et délirants de Jérôme Bosch, dont l’oeuvre constitue le centre de gravité du spectacle. De ce point de vue, la réussite est complète,

Par moments, on en oublierait pour quelques minutes que Bosch Dreams est un spectacle de cirque. Pourtant, les 7 artistes présents sur scène ne font pas qu’incarner une vaste galerie de personnages qui se croisent dans différentes époques, dans l’univers de Bosch ou dans le nôtre, diversement grimés pour emprunter certains des physiques inquiétants que l’on trouve dans les œuvres du peintre flamand. Ces 7 artistes sont des circassiens de talent, qui auront chacun l’occasion de montrer leur maîtrise d’une ou plusieurs disciplines. Si certains numéros sont peu mémorables, d’autres confinent au sublime. Le duo de cerceau aérien au-dessus d’une baignoire, au milieu de paysages du Jardin des délices et sur fond de The Crystal Ship des Doors est extrêmement beau: gracieux et intense, il saisit par sa fluidité extraordinaire. Le numéro de trapèze ballant est également très bien maîtrisé. Le point culminant du mariage de la prouesse technique et de l’émotion artistique est cependant atteint presque au début du spectacle, avec un numéro d’équilibre sur cannes impressionnant de maîtrise technique de l’exceptionnelle Sunniva Byvard, qui laisse à l’artiste la possibilité d’atteindre une expressivité dans les états du corps et dans ses mouvements qui n’a rien à envier aux meilleurs danseurs. La projection, qui donne l’impression que le numéro se passe au sein d’une bulle posée sur une fleur, magnifie excellemment ce moment de cirque émouvant.

Au-delà du travail pictural, central, et des propositions de cirque, essentielles, Bosch Dreams a également fait l’objet d’une écriture dramaturgique soigneuse. Le spectacle réussit le pari d’être à la fois ludique mais instructif, délirant mais construit, onirique mais clair dans son propos comme dans son intention. Tout commence et tout semble se finir par la figure de Jérôme Bosch, sur son lit de mort, d’inquiétants personnages réunis à son chevet. Il confie une baie rouge, comme on en voit de nombreuses représentées dans Le Jardin des délices, à une jeune fille, et c’est cette baie qui sert de fil conducteur dans l’enchaînement des scènes, qui font se percuter présent et Moyen-Âge, réalité sur scène et projections vidéos, montres et humains, tandis qu’un docte professeur revient régulièrement disserter sur les œuvres du génial peinture. Sans baisse de rythme, le spectateur est happé dans une histoire surréaliste, sans queue ni têteoù on trouve finalement naturel que Jim Morrison croise Salvador Dali au détour d’un paysage tiré du Chariot de foin ou de la roue des Sept péchés capitaux.

Un quasi sans-faute, absolument réjouissant, qui commence à être bien rôdé après un an d’existence. On peut cependant ne pas être toujours d’accord avec les choix musicaux: les musiques orientalisantes, très belles en elle-mêmes, nous semblent détonner par rapport au reste du spectacle. De même, l’utilisation groupée et intensive de morceaux des Doors finit par tomber à plat: The Crytal Ship fait un écrin magnifique au cerceau aérien, l’intro de Riders on the storm est employée à bon escient, mais trop c’est trop; employer Alabama Song (Whisky Bar) sur une scène… de bar justement est un peu facile, et quand My eyes have seen you accompagne une scène d’amour par ailleurs assez dispensable on sature un peu. C’est d’ailleurs quand le spectacle met en scène le conférencier spécialiste de Bosch, en essayant un registre d’humour un peu bouffon, que l’écriture est la moins réussie, et on s’imaginerait aisément Bosch Dreams s’en passer.

En somme, un spectacle comme un fantasme délicieux, la possibilité de s’immerger dans une galerie de tableaux de Bosch pendant 85 minutes, en compagnie d’excellents circassiens, de créatures étranges, de Morrison et de Dali. Il faudrait être bien difficile pour demander plus.

Après La Villette, Bosch Dreams sera représenté dans de nombreux endroits en France jusque fin février. A ne pas manquer s’il passe près de chez vous.

Une coproduction Les 7 Doigts – Theatre Republique

Idée originale et concept Samuel Tétreault
Scénario Samuel Tétreault, Martin Tulinius et Ange Potier
Direction artistique et mise en scène Samuel Tétreault
Consultation dramaturgique Simon Boberg
Support à la mise en scène Charlotte Bidstrup, Olaf Triebel et Matias Plaul

Vidéo et animation Ange Potier
Masques, costumes et décors Ange Potier
Textes Samuel Tétreault, Martin Tulinius et Simon Boberg

Sur scène Vladimir Amigo, Héloïse Bourgeois, Sunniva Byvard, Evelyne Lamontagne, Mattias Umaerus, Rémy Ouellet, Mathias Reymond.
Direction de tournée Sophie Côté Régie de tournée Mia-Luise Heide Régie Video b Régie technique Karl Sorensen Machiniste Simon Carrière-Legris Gréage Domenic Castelli

Création lumière Sunni Joensen
Création sonore Janus Jensen

Accessoires Mette Hammer Juhl
Réalisation des costumes Bente Nielsen / Kristine Widriksen
Costume du monstre poisson Mathieu René
Réalisation des masques Karin Ørum
Maquillages et ailes Line Ebbesen
Musique Claire Gignac – La Nef, Nans Bortuzzo, Vivian Roost, The Doors, Philip Glass, Ahn Trio, Grapelli, Duke Ellington, Tom Waits, ChillyGonzales

Visules: (c) Abraham Per Mortensen

Infos pratiques

Le Chêne
Arras Film Festival
Guisgand-Quentin

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