Musique
[Interview] Olivier Villepreux présente Delta T, “une revue de musiciens”

[Interview] Olivier Villepreux présente Delta T, “une revue de musiciens”

05 September 2016 | PAR Yaël Hirsch

Nouvelle revue lancée au printemps par les éditions Anamosa, Delta T se propose de nous faire comprendre “la musique par ceux qui la font”. Avec au moins 5 sujets originaux par numéro et un aspect de Fanzine ultra-précieux et travaillé qui se prête aux meilleurs instincts des collectionneurs. Alors que le n°2 de ce projet éditorial profond et graphiquement très abouti sort le 8 septembre 2016, son rédacteur en chef Olivier Villepreux a répondu à nos questions.

Comment est née l’idée de créer une nouvelle revue de musique ?
Je dirais plutôt une revue de musiciens. J’avais envie de sortir des simples travaux critiques ou biographiques, voire de l’interview dictée par l’actualité, l’opportunité, la mode, le goût personnel. La revue ne fait pas dans la critique, elle n’est pas prescriptive; nous cherchons des angles larges qui ouvrent sur le sociétal, l’histoire, la culture en général. La musique est ce que les hommes partagent encore le mieux dans leur diversité. Je voulais faire écrire ou éditer des textes qui fassent état des problématiques et enjeux de la création musicale. La musique est un baume dans nos sociétés mais elle n’est jamais déconnectée des effets qu’a la société sur elle. C’est ce qui m’a guidé pour demander à des artistes d’ouvrir le capot afin de voir comment tournait le moteur de leurs créations. Tous n’en sont pas capables. Ça fait un premier tri. Je n’écoute pas de la musique auvergnate tous les jours, mais j’apprends des choses en lisant le texte de José Dubreuil et Patrick Foulhoux sur l’Agence des musiques traditionnelles d’Auvergne ou sur la pop finlandaise traitée par le DJ Mikko Mattlar. Apprendre, comprendre, ce n’est pas juste “aimer”.

Comment avez vous trouvé le nom Delta T?
Delta T est une formule mathématique qui désigne un différentiel de chaleur de la source à la température “ressentie” dans une pièce, en quelque sorte. Je trouve que la musique, c’est un peu ça. Chacun de nous ne perçoit pas les mêmes vibrations selon ses goûts, sa culture, sa personnalité. Delta T c’est aussi la différence entre l’heure terrestre (une convention) et le temps universel. Là, c’était pour signaler notre décalage dans l’appréciation de ce qui fait ou non l’intérêt d’un disque, d’un spectacle, à un moment donné ou dans le temps. Et puis la musique, ce sont des maths. Des maths qui agencent des émotions.

Comment avez-vous imaginé le format ? Quel le est la place de la typo et du graphisme ?
Je viens de la presse écrite et je crois encore au papier, au plomb, à l’imprimerie, à l’archive, à ce qui fait document, au collage même. Comme Bazooka ou certains fanzines fonctionnaient avant l’ordinateur. Le but de cette revue est qu’avec le temps on puisse s’y replonger plus tard, la relire comme un témoignage de l’époque. La revue Delta T se collectionne plus qu’elle ne se consomme dans l’urgence. On n’est pas obligé de tout lire d’un coup, mais l’important c’est la lecture. Pour valoriser le texte, je ne voulais pas que l’on soit distrait par des esthétiques rabattues, photos posées, lumières scéniques, portraits, editing et typo uniforme. Il s’agissait de créer un climat propice à entrer dans l’atmosphère musicale proposée par les artistes. J’ai demandé à une dessinatrice, Marie Gueguen, et à un vidéaste, Nicolas Barrié, de travailler ces climats tout en mettant en avant leur propre travail d’artistes. Pour le reste, je discute avec notre directrice artistique chez Anamosa, Monika Jakopetrevska. Nous voulons qu’aucun numéro ne se ressemble. À chaque fois, c’est une pièce unique, sans “cases”. Seul le format ne bouge pas. Un mini-tabloïd (si vous voulez) avec des couvertures de couleur qui distinguent les numéros les uns des autres. On ne découvre le contenu qu’en ouvrant la revue, comme un disque. Il faut le sortir de la pochette avant de l’écouter, parfois plusieurs fois pour l’apprécier, ou pas. Notre démarche consiste à restituer cette sensation évanouie avec la technologie. Aujourd’hui, on sait avant d’acheter un disque ce que l’on va écouter. Il est rare d’aller au concert sans savoir ce que l’on veut/va entendre, éprouver. Dommage, c’est une porte que l’on ferme à sa propre capacité de jugement.

Du jazz à l’électro en passant par la chanson, tous les styles de musique semblent représentés quand on voit les deux premiers numéros…
Ce n’est pas le genre ou le style qui prévaut mais, encore une fois, le discours, l’écriture, le récit, le sujet. Je n’aime pas trop la façon dont on classe la musique et les artistes. Songez au jazz… Qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ? Tout est croisement et métissage en musique. Marc Buronfosse le dit très bien dans le n° 1. Son groupe, AEGN, est le résultat d’une immersion culturelle en Grèce liée à ses préocupations artistiques du moment grâce à un instrument mi-basse, mi-guitare, la Fender VI.

Vous privilégiez de grandes interviews, des papiers plutôt long. Est-ce plus proche de l’essai ou du journalisme ?
Je privilégie le temps et la longueur du texte nécessaires pour faire le tour d’un sujet. Ce n’est pas du journalisme, ce serait plutôt de l’écriture.

Y-a-t-il un rapport fort à l’actu ou n’est-ce pas tout à fait nécessaire?
Plus ou moins. Des fois, ça tombe bien, sinon, ce n’est pas grave. En trimestriel, c’est une notion floue. L’actu sera traitée sur le site.

En quoi est-ce important d’avoir une couverture internationale ?
Pour faire découvrir ce qui ne passe pas forcément les frontières, qui ne transite pas par les réseaux de distributions/diffusions classiques, et aussi du fait bien sûr de la dimension métisse de la musique. Quand on voyage, on se rend bien compte que le rock anglais n’est pas apprécié partout. Ou que les instruments et médias sont différents des nôtres. Mais aussi que telle musique brésilienne jouée au coin de la rue vaut largement un tube intercontinental. Mais ça ne suffit pas, il faut essayer de faire comprendre à qui cette musique parle et pourquoi, dans quel contexte.

Pourquoi des playlists et des biblio à la fin des articles ?
Je trouvais sympathique d’ouvrir des pistes pour écouter des choses directement ou indirectement liées aux textes; car si Delta T propose de “lire la musique”, c’est aussi bien sûr pour pouvoir l’écouter. C’est une aide à la bonne compréhension des écrits. Personne n’a la science infuse, surtout pas moi. Pour les biblio, il arrive qu’une musique croise le sujet d’un roman ou d’un essai, il n’y a pas de raison de ne pas faire des liens avec des livres qui peuvent prolonger le plaisir. D’ailleurs, des écrivains peuvent écrire dans Delta T, ce sera le cas dans le n° 3. J’espère que la danse y trouvera sa place également. Enfin Delta T est vendue en librairie, donc ça peut amener des gens à prendre un livre auquel ils n’auraient pas pensé.

Vous traitez donc les artistes comme des “auteurs” des textes sur leur oeuvre…
Normal, je leur demande d’écrire. S’ils n’écrivent pas, ils sont assistés et nous essayons d’être au plus proche de leur langue. Je choisis de préférence d’autres musiciens pour cela. En tout cas des gens qui savent jouer, ça aide. Arno s’est laissé aller à parler à un ami journaliste mais qui est aussi guitariste. Catherine Watine a écrit elle-même un très beau texte sur son évolution en tant que femme et artiste, au moment où elle a abandonné l’anglais pour chanter en français, assumer son âge et une parole propre. Pour les musiques traditionnelles d’Auvergne, il s’agissait de contextualiser l’attachement d’individus à un patrimoine culturel, le rendre vivant. Pour le coup, ce n’est pas une culture morte. Julien Desprez est un guitariste qui est dans une démarche de recherche tant musicale que sur de nouveaux modes de transmission scéniques ou sonores. Il s’en explique. Quant au bassiste de l’Orchestre national de jazz, Sylvain Daniel, il a fait d’un travail en résidence un spectacle multimédia tout à fait étonnant en s’inspirant subjectivement de toutes les richesses de la musique née à Detroit, du blues à l’électro minimaliste en passant par la soul, en s’appuyant sur des photographies mouvantes et projetées de Romain Meffre et Yves Marchand.

visuels : (c) Delta T/ Anamosa

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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