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Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra célèbrent Sibelius et Bruckner à la Philharmonie de Paris

Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra célèbrent Sibelius et Bruckner à la Philharmonie de Paris

18 January 2023 | PAR Hannah Starman

Ce 14 janvier 2023, la Philharmonie de Paris accueille le London Symphony Orchestra et son directeur musical, le légendaire Sir Simon Rattle, pour une soirée dédiée à Jean Sibelius et Anton Bruckner. Le programme, habilement articulé entre mystères nordiques et ardeurs romantiques, est dirigé de main de maître et sans excès, par un chef d’orchestre généreux et humble, et superbement exécuté par un orchestre qui, de toute évidence, suivrait la majestueuse crinière blanche de Rattle jusqu’à par-dessus une falaise, avec compétence et flegme tout british.

Les Océanides op. 73 en ré majeur : une évocation impressionniste de la mer

Jean Sibelius compose son avant-dernier poème symphonique, Les Océanides, sur commande de l’Orchestre du Festival de Norfolk (Connecticut). La composition de 10 minutes sera jouée pour la première fois, sous la baguette de Sibelius lui-même, à Norfolk le 4 juin 1914, à peine trois semaines avant l’assassinant de l’archiduc Franz Ferdinand qui déclenchera la Première Guerre mondiale. Initialement intitulée Rondeau der Wellen [Rondo des vagues] et composée en trois mouvements, cette pièce connaîtra plusieurs changements majeurs et ne sera finalisée que pendant le voyage du compositeur à la première aux États-Unis, à bord du paquebot SS Kaiser Willhelm II. Sibelius l’appellera Aallottaret, le mot finnois qui évoque les esprits des eaux qui peuplaient la Méditerranée dans les mythologiques grecques.

Appréciée dès sa création comme “la plus belle évocation de la mer en musique,” le poème symphonique en un mouvement est construit autour de deux thèmes. Dans un premier temps, les flûtes légères et virevoltantes dessinent le jeu des nymphes, mais cette espièglerie gracieuse sera vite contrastée par les appels plus ténébreux du hautbois et de la clarinette, accompagnés de harpe et des cordes. Autrement hiératique, la deuxième section évoque les profondeurs menaçantes de la mer. La musique s’amplifie, s’alourdit jusqu’à devenir menaçante, et culmine dans un onomatopéique fracas de vagues. Le calme sera rétabli après la tempête et l’accord final reprendra le thème initial d’une mer immense, impassible et éternelle. 

Tapiola, op. 112 : la dernière œuvre maîtresse avant le “silence de Järvenpää”

Comme Les Océanides, Tapiola est une composition commandée. Sibelius écrit ce dernier poème symphonique, qui sera aussi sa dernière composition majeure, en 1926, à la demande de Walter Damrosch, chef d’orchestre de New York Symphony Orchestra. Il travaillera sur la pièce à Rome et sur l’île de Capri, avant de revenir au village de Järvenpää, près de Helsinki, où il vit avec sa femme Aino et leurs six filles. En 1904, il y avait fait construire Ainola, un grand chalet en bois au milieu des pins, signé Lars Sonck et converti en musée Sibelius en 1974. Le compositeur y passera les trente prochaines années, jusqu’à sa mort en 1957, dans un silence artistique, ponctué uniquement par quelques compositions d’inspiration maçonnique et une tentative avortée de composer une huitième symphonie.

L’œuvre puissante et ténébreuse, Tapiola évoque le royaume de Tapio, l’esprit de la forêt dans la mythologie finnoise, qui apparaît dans l’épopée nationale finlandaise le Kalevala. Dans le quatrain publié en exergue de Tapiola en allemand, anglais et français, Sibelius révèle son inspiration : “La s’étendent du Nord les vieilles forêts sombres / Mystérieuses en leurs songes farouches / Elles abritent la grande divinité des bois / Les Sylvains familiers s’agitent dans leurs ombres.” Tapiola est une œuvre monothématique, presque aussi longue que sa Septième symphonie, et écrite d’un seul mouvement qui fait penser à un monologue intérieur. Construite souplement et sans démarcations claires, autour de cinq ensembles rythmiques qui portent l’unique leitmotiv, Tapiola, à l’instar de La Mer de Debussy, évoque les forces implacables de la nature.

Le London Symphony Orchestra et Sir Simon Rattle ont enregistré la version live de Tapiola à Barbican à Londres le 18 septembre 2022. Leur interprétation de cette composition déconcertante est tout aussi engageante à Paris, mais grâce à l’acoustique généreuse de la Salle Boulez, le son est plus ample et plus grave, ce qui ne peut que nous réjouir. Sous la baguette du chef britannique, après le premier coup de timbale, les cordes esquissent le thème qui sera repris sous sa forme originale ou étendue, rétrécie ou invertie, tout au long des 18 minutes que dure l’œuvre.

Ses harmonies perturbantes et amères et ses notes longues et douloureuses sont aussi hypnotiques qu’éthérées. Les passages de cordes qui partent dans des directions opposées, montant et descendant d’une octave à la fois, suivies par des éclats de flûtes et piccolos qui font de même, sont étonnants et expriment l’inquiétante et profonde vie intérieure d’une nature destructrice. Un changement soudain nous jette dans une ambiance et un rythme de scherzo dansant, évoquant les esprits de la forêt, avant de monter, à plusieurs reprises, dans un puissant crescendo de cuivres jusqu’à fortississimo, sans pour autant atteindre la déflagration dévastatrice qui justifierait la tristesse des incantations qui suivent. Sibelius finit Tapiola sur un Si majeur long et poignant, merveilleusement déployé et resté en suspens, sans résolution ni consolation.

La symphonie de tous les excès, la Septième d’Anton Bruckner

Dédicacée à l’exalté mécène de Wagner, le roi Louis II de Bavière, parfois appelée la Symphonie des trémolos, la Septième est la plus torride. Grâce à son magistral deuxième mouvement, elle devient également la plus admirée de toutes les symphonies du compositeur et organiste autrichien. Glorifiée par le régime Nazi pour ses prétendues qualités “germaniques”, la musique de Bruckner sera diffusée lors des rassemblements du parti à Nuremberg. L’Adagio de la Septième sera également diffusé à la radio allemande le 31 janvier 1943, après la défaite à Stalingrad et il accompagnera l’annonce le 1 mai 1945 de la mort d’Adolf Hitler.

Anton Bruckner complète la Septième après sa rencontre avec Richard Wagner à Bayreuth en 1882, à l’occasion de la première performance de Parsifal. Les deux compositeurs avaient déjà fait connaissance en 1865, lors de la première de Tristan et Iseult à Munich. La légende dit qu’en le rencontrant pour la première fois, Bruckner se serait jeté aux pieds de Wagner en criant : “Mon maître, je t’adore !” Bruckner travaille sur l’Adagio lorsqu’il apprend la mort de son idole en février 1883. Immensément peiné par la disparition de Wagner, il insère alors un choral funèbre aux cors, tubas wagnériens et tuba contrebasse juste avant la coda de son deuxième mouvement.

Dès les premières mesures de la Septième, les trémolos chatoyants des violons et des violoncelles évoquent le Rhône à l’aube de Rheingold et introduisent une des idées mélodiques les plus étendues et étoffées dans l’histoire de la musique. Sir Simon Rattle semble faire le choix d’une interprétation lyrique qui mette en avant les solos, notamment de cordes. Le hautbois et la clarinette introduisent le deuxième thème qui se développe sous le signe de l’Anneau du Nibelung de Wagner et gonfle lentement dans le premier point culminant de la symphonie, avant de laisser émerger le troisième thème, pétri de phrases dansantes insistantes qui évoquent la Pastorale de Beethoven.

L’Adagio ouvre avec quatre tubas wagnériens, l’instrument inventé par Adolphe Sax à la demande de Wagner, qui cherchait une couleur entre le cor et le saxhorn pour son Anneau du Nibelung. Bruckner est le premier compositeur à utiliser cet instrument dans une symphonie. Les tubas wagnériens et un tuba contrebasse cisèlent, tel un orgue, le thème infusé de gravité et désolation. Les violons reprendront ensuite la mélodie que l’on trouve dans le Te Deum que Bruckner écrit en même temps. La cymbale et le triangle accompagnent le dernier point culminant, lumineux et plein d’espoir, de l’Adagio.

Le Scherzo et son ambiance pastorale, où le son de la trompette à l’ouverture évoque le chant d’un coq, offre un contraste salutaire à l’intensité de l’Adagio. Le mouvement est pétillant au départ, mais le jeu insistant de trompettes et de cordes apporte un léger malaise. Celui-ci se dissipe dans les dernières mesures pour laisser la place à la flûte, avant de réintroduire une fervente tristesse et un final monumental, exécuté par les formidables cuivres du London Symphony Orchestra.

Pour ce vibrant hommage de Bruckner à Richard Wagner, Sir Simon Rattle opte pour un son feutré et sculpté que le London Symphony Orchestra délivrera avec précision et réserve, loin des réalisations pompeuses, susceptibles de conjurer la vision d’un quelconque Reich millénaire. Le public enthousiaste les remerciera avec une chaleureuse ovation toute latine et amplement méritée. 

Visuel : © London Symphony Orchestra

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Hannah Starman

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