Classique
Les Rencontres internationales de musique du château de Mateus

Les Rencontres internationales de musique du château de Mateus

27 September 2019 | PAR Raphaël de Gubernatis

 

Au Portugal, dans un château baroque qui compte parmi les édifices les plus célèbres du pays, ressuscite un festival de musique qui joua un extraordinaire rôle de pionnier culturel dans les années qui suivirent la Révolution des Œillets.

Envoyé au Brésil de 1765 à 1775 par le marquis de Pombal en tant que capitaine général et gouverneur de Sao Paulo, afin de réorganiser cette capitainerie en partie désertée par les colons portugais partis à la conquête de l’or qu’on venait de découvrir au Minais Geras, Don Luis Antonio de Sousa Botelho Mourao était le quatrième titulaire du majorat de Mateus. Il s’était déjà illustré en 1762 en repoussant victorieusement les troupes espagnoles au moment où les Bourbons tentaient une incursion au Portugal chez leurs cousins Bragance. Enfin, Don Luis Antonio, aussi superbe et orgueilleux qu’il était, s’affichait également en tant que mélomane.

Le premier opéra du Nouveau Monde ?

Afin d’égaler, sinon de surpasser le vice-roi séjournant à Rio de Janeiro, et sans doute dans le but de civiliser la petite société qu’il gouvernait, il ambitionna de s’entourer d’une cour, modèle très réduit de celle de son maître, le roi Josef 1er de Portugal. Et dans cette minuscule cité de Sao Paulo qui comptait vaillamment 2000 habitants, il n’hésita pas à faire édifier une salle d’opéra afin d’y rêver aux délices qu’il avait pu connaître à la cour de Lisbonne. Une salle d’opéra miniature, de cent places peut-être, insérée dans sa résidence de gouverneur, et qu’il eut eu la plaisante idée de faire financer par les plus fortunés des premiers Paulistas. Des sujets contraints de surcroît à assister aux représentations qui s’y donnaient, afin de parer la colonie de quelque semblant de vie élégante. C’est ce qu’atteste le « diario », le journal où le secrétaire du gouverneur consignait les activités quotidiennes de son maître. Il y nota par exemple que tel samedi 20 juin 1767, il se donna un spectacle lyrique en présence de Don Luis Antonio et de ses « invités ».
Ce document, ce « diario », on le retrouve aujourd’hui au nord du Portugal, dans les riches archives du château de Mateus (800 000 pièces répertoriées), Mateus, résidence séculaire des comtes de Vila Real. Il y a été ramené par Don Luis Antonio à son retour sur ses terres, une fois son mandat brésilien achevé. Et c’est ainsi que dans une antique demeure sise non loin de la vallée du Douro, on découvre l’existence du premier théâtre lyrique peut-être qui fut créé au Nouveau Monde. Dans ce qui deviendra plus tard l’empire, puis la république du Brésil.

Trois siècles plus tard…

Ce n’est sans doute pas cela, trois siècles plus tard, qui provoquera la naissance des Rencontres internationales de musique ancienne et baroque de la Casa de Mateus, nées en 1979. Mais pour ses créateurs, descendants du gouverneur de Sao Paulo, Don Fernando et Dona Maria Amalia de Albuquerque, actuels comtes de Vila Real, de Mangualde, de Melo et autres lieux, ce lien antique inspira peut-être et justifia assurément leur démarche si originale. Car ce sont eux qui se lancèrent avec bravoure dans la création de cette manifestation musicale alors unique dans un Portugal récemment libéré de la dictature et véritable désert culturel en dehors de Lisbonne. Une manifestation qui célébrera en 2020… sa trentième édition ! Sa trentième édition seulement, car après une interruption survenue entre 2005 et 2018, elle ne vient d’être courageusement relancée que l’année dernière par la fille aînée de Don Fernando, Teresa de Sousa Botelho de Albuquerque, qui un jour sera à son tour comtesse de Vila Real. Et pour cette renaissance, elle s’est entourée d’une jeune équipe qui compte un musicologue, Ricardo Bernardes, un musicien-directeur des études, Antonio Carrilho, et un organisateur culturel, José Luis Ferreira.

Première manifestation de ce genre au Portugal

Quand ils se lancèrent dans un festival de musique dédié tant à l’enseignement qu’aux concerts publics, première manifestation ce genre au Portugal, sinon dans toute la péninsule ibérique, (un festival qui se focalisera très vite sur les XVIIe et XVIIIe siècles sous l’impulsion de la violoniste Marie Amsler-Leonhard, épouse de l’illustre claveciniste, organiste et chef d’orchestre que fut Gustav Leonhardt), Don Fernando et Dona Maria Amalia avaient sans doute l’innocence et l’inconscience des preux des anciens âges. Marie Leonhardt étant de fait directrice artistique des Rencontres musicales et fondatrice d’un orchestre, l’Ensemble baroque de Mateus, il leur fallut créer de toutes pièces, dans cette résidence privée, des moyens propres à soutenir une programmation de haut vol, à assurer l’accueil du public et des artistes, à prodiguer un enseignement musical délivré au fil des ans à des centaines de jeunes musiciens et chanteurs par des personnalités de grand renom.
Ce festival, indissociable de ces cours de musique et de chant, allait bientôt prendre une ampleur inattendue en s’éparpillant dans les villes et villages des alentours et en cumulant plus de 50 concerts dans ses années les plus fastes. Y défilèrent en tant que professeurs, comme pour s’y produire en public, Teresa Berganza, Elena Obraztsova, Ileana Cotubras ou Max van Egmond, Ton Koopman ou William Christie, Gustav Leonhardt, Alicia de Larocha ou Moura Limpaty, Edward Heath,Jacques Ogg ou Ketil Haugsand, le Mozarteum de Salzbourg comme le King’ Consort…

« Une aventure qui fut un merveilleux cadeau du destin »

« Il n’y avait alors rien au château pour assurer de telles manifestations. On a dû tout inventer : des premiers programmes qu’on passait des nuits à recopier à la main… aux sièges commandés par centaines pour asseoir le public ; jusqu’aux dessus de lit qu’il fallait coudre soi-même afin d’en garnir les chambres destinées aux artistes, dans la maison qu’on fit reconstruire pour eux sur les ruines d’un antique moulin à eau. Mais cette aventure a été pour nous un merveilleux cadeau du destin ! Elle a suscité des étés de folie et de fantaisie inoubliables », se souvient avec bonheur la comtesse de Vila Real. Dans ce climat de bohême élégante et d’improvisation permanente qui enchante encore les mémoires, personnalités venues du monde entier, présidents de la république portugaise, romanciers, poètes, musiciens, gens de théâtre, artistes de tous bords, ministres, politiciens de toutes tendances se pressèrent, se pressent toujours à Mateus, dans un emballement de spectacles, de séminaires, de prix littéraires, de conférences, de déjeuners et de dîners. Car la Casa de Mateus, dans l’euphorie qui accompagna le retour de la démocratie, se voulut aussi un lieu de réflexion et d’études en multipliant les rencontres d’ordre politique, culturel ou social afin d’accompagner la reconstruction du Portugal.

Un sentiment de tâche accomplie

Pourquoi donc avoir suspendu ces Rencontres internationales de Musique alors qu’elles avaient atteint un degré d’épanouissement alors inédit ? « C’était une entreprise magnifique, mais épuisante, justifie aujourd’hui le comte de Vila Real. Elle avait commencé sans nul appui public, avec les seuls fonds de notre fondation, avant que la municipalité de Vila Real nous soutienne fidèlement. Mais avec la croissance, il nous fallait d’autres appuis : le ministère de la Culture est alors intervenu. Et les aides privées. Cependant, au long de ces années, les villes du Portugal s’étaient peu à peu dotées d’auditoriums, de salles de spectacles, grâce aux financements de la Communauté européenne. Et dans notre région, au nord et nord-est de Porto, l’on comptait désormais trois ou quatre autres festivals de musique. Il y avait donc de notre part comme un sentiment de tâche accomplie. J’ai considéré alors que notre mission était achevée ».

Le renouveau

C’est Teresa de Sousa Botehlo de Albuquerque qui a voulu la renaissance des classes magistrales et du festival. Et depuis 2018 les « Encontros internacionais de Musica da Casa de Mateus » se projettent désormais dans un nouvel avenir.
Elles héritent d’un passé foisonnant. Magnifique héritage qu’il faut bien évidemment ressusciter sous un jour nouveau. Car les temps ont changé, ô combien ! « Ces classes magistrales qui ont fait les grandes heures de Mateus, on en trouve désormais partout en Europe. Et ne serait-ce qu’au Portugal, le nombre d’écoles de musique, de conservatoires a explosé », souligne José Luis Ferreira. « Il nous faut désormais inventer de différentes formes pour renouer avec le dynamisme et l’esprit novateur qui furent ceux des Rencontres, lesquelles apportaient alors une franche évolution dans l’enseignement de l’art baroque. Dès l’année dernière, et cette année encore, nous avons reçu plus de 35 jeunes gens autour de six professeurs de chant, de luth, de clavecin, de flûte à bec, de hautbois et de violon baroques Cependant, nous songeons désormais à leur offrir non plus seulement des cours magistraux, mais encore la possibilité de s’investir dans une réalisation musicale au cours de laquelle toutes les disciplines seraient réunies. Et cela dans le but de monter un spectacle en commun. Non seulement sous un angle artistique, mais encore administratif et technique ».

S’interroger sur les raisons de jouer de la musique ancienne

Auprès de Teresa de Albuquerque qui définit la politique des nouvelles Rencontres, un ancien élève des années 2000, le flûtiste Antonio Carrilho, est chargé du choix des actuels professeurs comme de l’organisation de l’enseignement. Le musicologue Ricardo Bernardes se charge quant à lui des projets de création ou du développement de l’Orchestre baroque de Mateus (entre 15 et 20 instrumentistes). Mais aussi de la recherche de répertoires oubliés. Celui de compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles ayant principalement servi auprès de la Cour des rois de Portugal dont certains furent de vrais mélomanes. Ou de religieux qui prospérèrent au sein des missions jésuites établies au Brésil avant d’être chassées du Portugal et de ses colonies dès 1759. « Redonner vie à des partitions oubliées, écrites par des compositeurs mineurs, certes, mais de qualité réelle, et très influencés par l’école napolitaine, revient aussi à comprendre le contexte social, les goûts d’alors. Et partant, à mieux cerner un passé sur lequel s’est construit le présent et notre patrimoine. Nous mêmes, à Mateus, nous tenons toutefois à éviter de considérer ces musiques sous un angle « nationaliste », alors qu’elles sont le fruit d’influences multiples qui ont en leur temps irrigué l’Ancien Monde tout comme le Nouveau. En explorant le passé, nous nous interrogeons aussi sur les raisons qu’on a aujourd’hui de jouer de la musique ancienne. C’est l’une des préoccupations majeures au sein de notre académie. D’autant que je ne crois pas que la musique soit un langage dont l’écoute est automatiquement universelle. Elle est le produit d’une éducation, de toute une culture dans laquelle baigne une société et qui en permet ou non la compréhension », avance Ricardo Bernardes. « L’enseignement, l’approche de ces musiques ont par ailleurs beaucoup évolué ces derniers temps. Et les jeunes générations apportent une sensibilité nouvelle à leur interprétation ».
Quant à José Luis Ferreira, il collabore avec Teresa de Albuque-rque à la réalisation des projets, à la stratégie à mener par la Fondation de Mateus qui, sous la direction du comte de Vila Real, porte les Rencontres et emploie une cinquantaine de personnes au château, tout comme dans le vaste domaine viticole qui lui est attaché.

Culture raisonnée et redécouverte du patrimoine

« Culture raisonnée, écologique des terres dépendant du château, préservation du patrimoine bâti, du mobilier, des œuvres d’art et des archives familiales accumulés au cours des siècles, redécouverte du domaine musical baroque portugais afin de lui rendre vie, développement culturel et éducatif permanent : tout cela est indissociable à nos yeux », résume Teresa de Albuquerque. « Cela fait partie d’un ensemble cohérent, d’une même approche respectueuse du passé comme du présent ».
Encore confidentiels lors de cette renaissance, les concerts se sont donnés pour la plupart dans la chapelle de Mateus qui attend d’être définitivement restaurée comme le château qui l’a été magnifiquement. Les dizaines de milliers de visiteurs qui accourent découvrir cette perle du baroque portugais qu’est la Casa de Mateus ne paraissent malheureusement pas concernés par les concerts, faute de publicité sans doute à ce sujet. Une publicité qui se révélera évidemment indispensable pour soutenir renouveau de la partie publique des Rencontres.
Enfoui au sein de jardins magnifiques tout bruissant de musique, car les jeunes chanteurs et instrumentistes, en dehors des cours, y travaillent leurs partitions dans la fraîcheur des bosquets ; doté d’une architecture exubérante née au XVIIIe siècle de l’imagination d’un créateur italien, Niccolo Nasoni, lequel fut aussi décorateur de théâtre et édifia à Porto des bâtiments parmi les plus spectaculaires qui soient au Portugal, le palais, ou château, ou casa de Mateus multiplie les salons, les cours, les plans d’eau, sans compter sa théâtrale chapelle. Tous en état de recevoir concerts et spectacles dans un climat d’intimité infiniment propice à l’écoute de la musique baroque ou à la découverte de divertissements lyriques ou chorégraphiques. Où mieux apprécier en effet une œuvre des temps anciens, sinon dans un cadre aussi envoûtant, enveloppant, où la noble simplicité des façades latérales du château et de ses dépendances joue avec le délire baroque de la cour d’honneur, où l’humilité étudiée des murs crépis de blanc affronte la vanité des ornements de granit, le délire des pinacles, des trophées et des statues qui font s’envoler les toits du château vers le ciel ?

Raphaël de Gubernatis

Les trentièmes Rencontres internationale de Musique du château de Mateus (Encontros internacionais de Musica da Casa de Mateus) auront lieu du 14 au 22 août 2020. Information :www.casademateus.pt ou [email protected]

 

Visuel : Façade Principale Mateus- photo Fernando Pendão.jpg

“La fin de l’homme rouge” de Svetlana Alexievitch : la grande hache de l’histoire bouleverse aux Bouffes du Nord
Eisenstein mis à l’honneur au Centre Pompidou de Metz
Raphaël de Gubernatis

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration