
Nos guerres, nouvelles formes de la BD
«Nos guerres» est une bande dessinée assez déstabilisante mais extrêmement intéressante. Grave et touchante dans le texte ; étonnante et innovante dans la forme.
«Ce siècle était la guerre par excellence, une guerre de cent ans de l’homme contre l’homme, à travers l’œil froid de la technique. Et la technique merveilleuse m’est passée dessus et a fait ce que la guerre n’avait pas fait : de moi, un déchet sans dignité. Fini le guerrier, reste l’homme de pensées et de souvenirs».
C’est sur ces mots que se termine le prologue de « Nos guerres » donnant le ton de cet album : grave. S’en suivent dix récits, dix ressentis de guerre illustrés. Parmi les narrateurs : un aristocrate mutilé, des cousins séparés, une infirmière qui découvre la dureté de la guerre, un paysan pris en tenaille par les champs de bataille… Ou encore un jeune tuberculeux qui a honte de ne pas être au front : « Ma honte, je la retrouve sur le visage de tous les tuberculeux de plus de quinze ans. On se baigne comme des fonctionnaires en retraite rhumatisants. Ailleurs, des pages d’héroïsme se tissent. »
Chacun, à travers un – trop – court récit, livre « sa » perception de « sa » guerre. Chacun des chapitres a son graphisme, son univers, rappelant que chaque expérience est unique.
Les auteurs de « Nos guerres » – tout comme Olivier Schrauwen dans « L’homme qui se laissait pousser la barbe » – explorent les limites graphiques de l’art qu’est la bande dessinée. Ce faisant, ils offrent aux lecteurs des rencontres improbables avec des images du passé, mettant en lumière un art vivant qui ne cesse d’évoluer, de se réinventer. S’affranchissant des « usages », ces auteurs représentent – et dignement – un certain renouveau qui n’est pas pour déplaire. Sans bulles, les illustrations de « Nos guerres » sont déroutantes, le découpage loin d’être classique. La découverte de la vie d’un personnage s’accompagne, à chaque nouveau chapitre, d’une découverte visuelle, d’images se référant à un univers graphique singulier.
D’une grande richesse, « Nos guerres » est une réelle – et bonne – découverte.
« Nos guerres » de David Benito, Laurent Bourlaud (dessins) et Patrice Cablat (couleurs) chez Cambourakis
Sorti le 13 octobre 2010 – 19 euros