
“Mikado d’enfance” de Gilles Rozier
Gilles Rozier est titulaire d’un doctorat de littérature yiddish. Il est écrivain, traducteur du yiddish, de l’hébreu et de l’anglais, éditeur et chroniqueur littéraire. Il a dirigé la Maison de la culture yiddish-Bibliothèque Medem avant de co-fonder Les éditions de l’Antilope. Mikado d’enfance est son septième roman. Hasard de l’actualité son troisième roman, Un amour sans résistance, fait l’objet en ce moment au Local d’une adaptation théâtrale.
Vieux Juif, tu seras puni par le IIIe Reich
Quarante ans après les faits, le narrateur revient sur un épisode traumatisant de son enfance, une lettre antisémite anonyme envoyée à un professeur. Gilles Rozier aurait bien aimé dire qu’il n’y était pour rien, mais aujourd’hui, il affronte cet épisode oublié. Le roman raconte ce retour du refoulé au sein de la chronique tendre et nostalgique de quatre enfants au milieu des années soixante-dix. De Gaulle est mort, la parenthèse Pompidou vient de s’achever et le nouveau président Valery Giscard d’Estaing entend moderniser sa fonction. Gilles Rozier déplie l’imbrication des conflits politiques et des malaises familiaux. Accusé, il aura à subir un conseil de discipline vertigineux. Il aura à s’étourdir de la phrase de sa mère : Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ?
Le roman est incontestablement le geste d’un homme mûr. Rozier se jette à l’eau de ses années d’adolescence sans s’y plonger intégralement. Il raconte le traumatisme avec finesse et équivoque mais en principal avec une distanciation qui fait témoignage et enseignement pour nous. Il refuse l’illusion et le péril d’une description minutieuse et policière qui s’inventerait catharsis, qui serait une vendeuse biographie. Il écrit pour nous et emploie sa plume à la Modiano pour disséquer avec délicatesse un trauma analogique certainement d’un autre trauma, celui de la catastrophe. Il écrit avec cette science du récit qui organise la tension du lecteur sur une pente douce mais ferme. Gilles Rozier continue ainsi sa fouille interminable de l’identité juive au plus profond de l’intime. Et en chemin nous fait réfléchir sur nous même, nous interroge: Quoi faire de nos traumatismes d’enfant ? C’est précieux.
Gilles Rozier
Mikado d’enfance
18 €