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Les Arabes aiment aussi

Les Arabes aiment aussi

06 March 2012 | PAR La Rédaction

Troisième roman de l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, La Deuxième personne interroge la notion d’identité, derrière le prétexte d’une histoire d’adultère supposé.

Il est réconfortant de lire les romans de Sayed Kashua. Arabe israélien, l’auteur, également éditorialiste au quotidien Haaretz et scénariste d’une série à grand succès en Israël (« Travail d’Arabe »), contredit, par son expérience propre comme par ses livres la lecture simpliste et manichéenne que l’on peut avoir, de ce côté-ci du monde, de la «situation» au Moyen-Orient. Originaire de Tira, un village du triangle (où se concentrent au sein d’Israël de nombreux villages arabes), Sayed Kashua a fait ses études à l’Université hébraïque de Jérusalem et il écrit en hébreu d’un point de vue arabe. Un parti-pris qui lui vaut d’être taxé de traitre par les Palestiniens (ses romans ne sont pas traduits en arabe), mais qui lui permet, plus qu’à tout autre, d’explorer grâce à la langue de l’autre les complexités de deux sociétés, la juive et l’arabe, bien plus mêlées qu’il n’y paraît. Pour le lecteur, cette invitation au questionnement, qui doit être le principe même de toute littérature, et que l’auteur propose avec un humour désarmant d’humanité, est une véritable source de réjouissement.
Après deux excellents romans (les Arabes dansent aussi, Et il y eut un matin), l’auteur de 37 ans, véritable star en Israël, poursuit son observation sans complaisance de la communauté arabe à travers deux histoires singulières qui vont se rejoindre au terme d’un suspense haletant. On y rencontre d’abord un avocat pénaliste, richement établi à Jérusalem, dont la vie bascule le jour où il trouve, dans un livre de Tolstoï, acheté d’occasion à la librairie du quartier, un mot d’amour écrit pas son épouse à un autre homme. Son histoire, faite de suspicion, de traques, et de stratagèmes pour tenter de coincer la soi-disant fautive, s’entrecroise avec celle d’Amir, un jeune travailleur social engagé dans un foyer juif pour s’occuper d’un garçon tétraplégique du même âge que lui.
De quelle façon celui-ci est-il mêlé à l’adultère supposé de la femme de l’avocat? Cette question captive bien sûr le lecteur pendant une bonne partie du récit, qui se déroule sur des échelles de temps différentes, comprises dans une durée de sept ans. Mais elle n’est pas le principal point d’intérêt de ce remarquable roman, où l’humour grinçant le dispute à de vrais élans de désespoir.
Les itinéraires des deux Arabes, l’un attaché à l’excès à sa réussite sociale, l’autre explorant les perspectives d’une vie dédiée à l’art, sont le prétexte à une réflexion sur ce qu’est l’appartenance à une minorité nationale, et sur la façon dont chacun tente de s’y inscrire. L’avocat, s’il a tous les signes extérieurs d’une intégration à la société juive, aisée et éduquée, révèle un attachement plus profond à ses origines.
Se découvrant une passion pour la photographie, Amir, de son côté, affiche un désir de normalité qui le pousse à un jeu dangereux avec sa propre identité: « Aujourd’hui, je veux être comme eux. Aujourd’hui, je veux faire partie d’eux, pénétrer des lieux où ils ont le droit d’entrer, rire comme eux, boire sans me soucier de D.ieu. Je veux être comme eux. Libres, rêveurs, capables de penser à l’amour (…) Je veux boire avec eux, danser avec eux sans le lourd fardeau du clandestin infiltré dans une langue étrangère ». Très riche en niveaux de lecture et en jeux de miroir, La deuxième personne brouille en permanence les frontières déjà très incertaines entre le soi et l’autre, l’ici et l’ailleurs, l’amour et la jalousie, la fiction et la réalité. On n’en demande pas plus.

« Qu’allait-il chercher là-bas? L’avocat n’était sûr de rien. Peut-être la preuve de l’innocence de son épouse avec laquelle il ne couchait plus depuis des lustres? Peut-être la certitude qu’elle l’aimait, bien que lui-même ne fût plus persuadé de l’aimer encore?
Ou peut-être cherchait-il à retrouver son honneur perdu. Que voulait-il, en fait? »

Par Ariane Singer.

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La Rédaction

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