
Duchess – un roman noir et intense signé Chris Whitaker
Entre la côte Californienne et la nature imposante du Montana, le jeune auteur britannique déploie une tragédie familiale qui transpire la passion et le désespoir, relevant de son écriture sensible et étudiée la recette des bons polars à l’américaine.
Dans la nuit.
Le dénouement est un peu convenu, trop optimiste eu égard aux déferlements de la tragédie qui crépite durant les cinq cents pages de « Duchess », titre et patronyme du personnage principal du nouveau roman de Chris Whitaker. Une adolescente dont il parvient à décrire le mélange de désarroi, de violence et de dignité par petites touches, sans se vautrer dans le sordide qui rôde pourtant partout dans cette histoire. Soit une famille à la dérive, une ravissante femme, mère de deux enfants qui vit d’expédients et de tentatives répétées d’établir une connexion avec des hommes perdus, impuissants à mettre un peu de beauté dans une relation sinon amoureuse, du moins cordiale. Star est une fille du coin. Adolescente, elle faisait tourner la tête de tous les fils de fermiers et aujourd’hui, en dépit de vingt ans de drame successifs, l’alcool, la drogue, le désespoir, elle demeure la lumière dans la nuit de quelques-uns qui cherchent la rédemption.
Un destin à soi.
Duchess a avalé tout ça, elle l’a recraché pour survivre, s’occuper de son frère Kévin qui, au fond, est le personnage principal de ce roman d’apprentissage qui traverse les méandres de l’adolescence dans de jolies descriptions du Montana. Whitaker a bien compris qu’il n’était pas nécessaire d’en faire trop, que tout pouvait se suggérer par petites touches. Il entame ici une sorte de drame faulknérien de poche qui finit par pénétrer l’âme de Duchess dans toute sa crudité, son impossibilité à disposer d’un destin à soi.
Intensité.
Une galerie d’hommes blessés traverse le récit, parfois cruels surtout paumés, en roue libre face au petit inspecteur Walk, peu à peu submergé par la maladie de Parkinson qui trouve dans l’histoire de Duchess et Kevin le chemin de sa rédemption. En attendant, la tragédie avance, impitoyable, et chaque fin de partie s’achève par la mort violente des proches de la jeune fille : ce sera sa mère, son grand-père, in fine son père. La noirceur de l’avenir habille le moindre fait et geste des personnages et convainc le lecteur qu’il n’y aura pas d’issue. En ce sens, c’est exact, Duchess basculera bien loin de l’humanité ordinaire, mais elle aussi trouvera sa rédemption en abandonnant un temps son frère qui construira de lui-même sa dignité d’enfant blessé. L’écriture subtile de Whitaker parfaitement rendue par la traduction française fait de son roman un genre de petit sommet d’intensité qui nous habite longtemps après le dénouement.
“Duchess”, Chris Whitaker, éditions Sonatine 2022, traduction Julie Sibonie.
Visuel : couverture du livre