Cinema
[L’Etrange Festival] « Il est difficile d’être un dieu ». Surtout sous une caméra virtuose

[L’Etrange Festival] « Il est difficile d’être un dieu ». Surtout sous une caméra virtuose

12 September 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

L’eau qui suinte de partout, la saleté absolue, les coups donnés et reçus… Pas de doute : on est bien au Moyen-Âge. Sauf que l’action se déroule sur une autre planète… Observée par des scientifiques… Tourné puis monté de 1999 à 2013, ce dernier film du réalisateur russe Alexeï Guerman impressionne par sa perfection malade, digne de Stanley Kubrick. Qui nous balade, nous égare à dessein, pour mieux nous amener à trouver du sens à cette histoire.

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Il est difficile d'etre un dieu« Avant toute chose sachez que je suis un dieu. Que j’ai lutté, dans un ailleurs, afin de faire respecter ma loi, sans commettre de meurtres. A présent, je suis vidé. Et j’erre sur Terre. » Ces propos ne sont pas tirés du film Il est difficile d’être un dieu. On les a imaginés, afin de résumer, en partie, le contenu de l’œuvre. Sans doute plus vaste… Hier soir, avant que les lumières ne s’éteignent, et ce pour deux heures cinquante, on nous a prévenus qu’on allait voir « quelque chose d’unique » et de « très beau »

On est effectivement forcés de saluer le travail cinématographique tout en plans-séquences d’Alexeï Guerman (cinéaste remarqué en 1999 pour Khroustaliov, ma voiture ! , et mort en février 2013). Dans un noir et blanc cru, sa caméra capture des visages suants et éreintés. De très près. Le son qui accompagne les images est d’une implacable clarté : on perçoit chaque goutte qui tombe à travers les fissures des plafonds, chaque coup donné, et l’ouverture des chairs qui en résulte… Les figures valsent. On se trouve parfois égarés. Tout bouge tout le temps. Mais chaque mouvement a été pensé avec une précision maniaque. D’où le temps pris pour tourner.

Il est difficile d'etre un dieu 2Le film entend-t-il nous immerger en plein Moyen-Âge ? oui, car le cadre apparaît recréé sous nos yeux, avec des intentions scrupuleuses. Mais quel est le but ? à l’écran, les penseurs sont persécutés. Tout poète, tout inventeur d’un procédé mécanique se trouve immédiatement noyé, si possible au fond de toilettes publiques. La réflexion part-elle de ce point ? Pas exactement. Car nous sommes sur une « planète » qui n’est pas la Terre… Semblable, mais demeurée en des âges anciens. Obscurantistes. Et, oui, il y a bien un « dieu » dans l’histoire. Don Rumata. Seigneur barbu et charismatique, doté d’esclaves, et expert dans l’art de se faire respecter. Tellement doué qu’au début, on se fatigue de sa nature à toute épreuve. Malgré l’apport de la belle voix caverneuse de Leonid Yarmolnik, il semble trop monolithique…

On comprend cependant bientôt que c’est lui que traque Alexeï Guerman. Il avance dans ce monde en plein chaos, en ne tuant pas. En « coupant juste des oreilles ». Il va se frotter avec succès aux barons concurrents, aux princes impétueux, aux moines séditieux… En triomphant, à chaque fois. Sous l’œil de mystérieux scientifiques, venus de la Terre. Dont on finira par saisir mieux les motivations… Des baisses d’attention, ou un sens qui peut apparaître hermétique : quelques défauts qui ne font pas oublier au final la force évocatrice de cette œuvre, dans laquelle la maîtrise technique, mégalomane, sert un propos.

Il est difficile d’être un dieu, un film d’Alexeï Guerman avec Leonid Yarmolnik, Aleksandr Chutko, Yuriy Tsurilo. Durée : 2h50. Sortie le 11 février 2015.

Visuels : © Capricci

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