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Le Samouraï,  plus d’un demi-siècle après

Le Samouraï, plus d’un demi-siècle après

19 June 2023 | PAR Nicole Gabriel

Les films du Camélia ressortent en une splendide version restaurée le premier film de Jean Pierre Melville avec Alain Delon, Le Samouraï (1967). Celui-ci s’ouvre sur une fausse citation du Bushido : ” Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Seule peut lui être comparée celle du tigre dans la jungle. » Melville précisa que Delon l’avait d’emblée frappé par « son petit air nippon » et, par là-même, “tout à fait maquillable en Japonais.” 

L’Art du muet

S’il s’inspira pour le titre d’Akira Kurosawa, Melville, fasciné, on le sait, par l’Amérique, écrivit un scénario démarqué du film noir This Gun For Hire (1942) de Frank Tuttle avec Alan Ladd et Veronica Lake. Il transposa l’intrigue autour d’un tueur à gages impénétrable dans le Paris du gaullisme finissant. Les neuf premières minutes du récit se déroulent sans la moindre parole. Tout est dans le geste, dans l’action et dans le subtil bruitage. Jeff Costello (Delon) fignole avec le plus grand soin son prochain mauvais coup. Sauf que, pour une fois, quelque chose tourne mal. Dans le club de jazz dont il vient d’abattre le patron, il tombe sur un commissaire de police particulièrement coriace (joué par François Périer). D’autre part, comme dans M le Maudit (1931), le protagoniste est également poursuivi par ses anciens commanditaires qui ne souhaitent pas laisser de trace.

Delon le charmeur est ici bressonnien. Ni un acteur ni un comédien mais un “modèle”, au sens de Bresson, voire un top model. Pour ne pas dire une marionnette aux mains de Melville qui lui impose son « fétichisme du vêtement » : l’imperméable de Bogart, le Borsalino type Fédora qui va avec et « un révolver gros calibre au bout de la main pour équilibrer le chapeau ». L’interprétation minimaliste, hiératique à souhait, contribua à faire de Delon, pour une longue période, une star au Japon, quasiment un trésor national. Malgré une mise en scène anti-psychologique, Delon conserve quelque chose d’hypnotique dans le regard, dont il joue auprès des femmes – la blonde et la brune. Et, une certaine impertinence face à l’autorité incarnée par le policier. L’essentiel du film montre comment, telle une anguille, Jeff lui file entre les doigts.

Film noir en couleur

À film noir, couleurs sombres. La plupart des scènes sont tournées de nuit. Pour les intérieurs comme pour les vues prises dans différents quartiers de la capitale, Jean-Pierre Melville s’est appuyé sur Henri Decae, son fidèle chef opérateur depuis Le Silence de la mer (1947). Dans la tanière de Jeff, ce dernier a à peine éclairé le décor en camaïeux de bruns et de gris que dut refaire en un temps record François de Lamothe après l’incendie du studio Jenner de Melville, dans le 13? arrondissement. Comme toujours chez lui, ce n’est pas la « réalité » que le cinéaste a voulu rendre, mais une impression de celle-ci. À cet égard, la scène de confrontation des suspects au 36, quai des Orfèvres, relève du cauchemar kafkaïen, avec des dizaines de doubles ou de clones portant chapeau et long trench-coat.

Viennent s’ajouter, renforçant le sentiment d’étrangeté pour les spectateurs d’aujourd’hui, les images d’un Paris qui n’existe plus, avec ses rades, ses bouges, ses kiosques à journaux haussmanniens, ses cabines téléphoniques, ses deux chevaux, 4 chevaux, 4 L (Jeff ne volant que des DS, alors véhicules officiels), sans oublier ses poinçonneurs, des Lilas et d’ailleurs.  Les scènes de filature dans le métro, vécues à la fois in situ (de Télégraphe à Châtelet) et à distance, par le commissaire, assis devant un écran lumineux lui indiquant la position précise de sa proie, dans une salle de contrôle de la RATP, sont des moments de cinéma dont se souviendront Wiiliam Friedkin (French Connection, 1971) et Henri Verneuil (Peur sur la ville, 1975). D’un film de genre produit avec relativement peu de moyens, Melville a tiré un chef-d’œuvre.

Visuel : photogramme du film : toc narcissique d’Alain Delon ajustant la passe de son chapeau.

Ressortie du film le 28 juin 2023.

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Nicole Gabriel

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