
Étrange Festival 2020 : “Piège pour Cendrillon” éblouit par sa singularité et sa maîtrise
Longtemps resté visible uniquement dans une mauvaise qualité, ce film d’André Cayatte, sorti en 1965, fait son retour sur grand écran – d’abord à l’Étrange Festival, puis en salles – distribué par Revus & Corrigés. Ses partis-pris, son actrice et son mystère laissent fasciné.
Dès ses premiers plans, Piège pour Cendrillon affirme avec force qu’il va être un film de partis-pris : son générique de début, peu commun, se déroule sur un fond gris aux belles teintes, avec des figures opaques qui s’activent à l’arrière-plan. Le thème musical principal donne d’emblée avec force, lui aussi, une couleur singulière à l’oeuvre : profond, épuré, lancinant, il paraît suggérer au spectateur que l’histoire dans laquelle il s’apprête à entrer va être particulièrement trouble. Lorsque celle-ci commence, un effet de réalisation saisissant accroche tout d’abord : les premières répliques sont dites par un médecin, qui s’adresse au public, mis pour un instant dans la peau de l’héroïne du récit, une jeune femme brûlée, rescapée d’un incendie, liée à une très riche famille, et amnésique. D’emblée, ce procédé communique l’impression que le personnage que l’on va suivre va se retrouver démuni, égaré, face à un entourage plus fort que lui, comme dans un roman policier ou un scénario de polar s’attachant aux pas d’une victime revenant à la vie dans un monde trouble. On y lit aussi le fait que le film va tout faire pour que son spectateur s’identifie, profondément, à cette jeune femme perdue, sans repères et quasiment sans défense.
Et de surcroît, la maestria des choix de réalisation opérés par André Cayatte – réalisateur de Nous sommes tous des assassins, du Miroir à deux faces, ou de Verdict – se manifeste également : dans cette scène, la caméra adopte parfaitement le mouvement d’un corps s’éveillant, alité sur un lit d’hôpital. On sent que, loin d’être illustrative, la réalisation va donner les choses à ressentir, au long du récit.
Perfection des procédés choisis
Construit à la manière d’un film noir, avec retours de l’héroïne frappée d’amnésie sur les lieux où elle peut obtenir des informations sur sa vie d’avant – et sur sa mystérieuse cousine, plus pauvre qu’elle, qui lui ressemblait beaucoup physiquement, et est jouée par la même actrice – et rencontres avec ses anciennes fréquentations, le scénario de Piège pour Cendrillon (adapté d’un roman de Sébastien Japrisot) apparaît rythmé, et jamais artificiel. La musique de Louiguy, jamais utilisée de manière appuyée, participe à cette atmosphère, de même que le montage dirigé par Paul Cayatte : bien que les protagonistes fassent à l’héroïne des récits, qui entraînent logiquement des flashes-backs, ceux-ci ont la bonne idée de mêler scènes courtes et claires au sein desquelles le récit avance, et séquences plus imaginatives : on pense à celle où les deux cousines essayent de se parler, à travers l’ascenseur d’un parking de garage, ou à la séquence où l’amoureux de la cousine pauvre se retrouve bloqué dans un ascenseur par l’héritière, alors décrite comme capricieuse et épouvantable, qui s’échine à le narguer et à lui faire du charme.
Pourvue d’une véritable identité, la mise en scène du film éblouit. Tout autant que l’interprétation de Dany Carrel, ici dans un triple rôle : à la fois jeune héritière insupportable mais tout de même fragile, cousine pauvre tout aussi perdue mais assez manipulatrice, et, hors des flashes-backs, jeune femme rescapée d’un incendie totalement brisée, elle fait montre d’une palette étonnante. D’autant plus que certains narrateurs de faits passés décrivent les protagonistes qu’elle joue en exagérant leurs traits : elle a donc tout le loisir, à l’image, de s’amuser parfois à être plus excessive et expressive, presque caricaturale, mais en veillant à rester humaine tout du long. Tous les interprètes qui l’entourent ont un jeu d’une qualité égale (qu’il s’agisse de Madeleine Robinson, Jean Gaven…), et captivent, tout autant par leurs présences que du fait des figures qu’ils incarnent, qui ont toutes des choses à se reprocher. Leurs fautes conservant un côté humain, et n’étant jamais poussées à l’écran jusqu’à l’exagération et la caricature…
Au final, Piège pour Cendrillon convainc aussi totalement de par une autre de ses réussites : il n’explique pas tout, et laisse certaines questions au final en suspens, préférant faire tomber sa fin comme un couperet triste, plutôt que d’orchestrer une scène de révélations fracassante. En cela, il s’affirme avant toute chose comme un drame, humain, opaque, et surtout profond.
Distribué par Revus & Corrigés, magazine consacré au cinéma de patrimoine – et aux différentes manières dont il est conservé, traité, pensé et exploité – qui orchestre ici sa première ressortie de film dans les salles françaises, Piège pour Cendrillon sera à l’affiche à partir du 8 octobre 2020 dans les cinémas.
Visuels : © Revus & Corrigés