
Étrange Festival 2019 : “La Terre des oubliés”, beau portrait tout en force souterraine
Au cœur des montagnes galloises au XIXe siècle, une toute jeune fille essaye de garder foi en elle malgré l’injustice du monde qui l’entoure. Ce film signé William McGregor arrive à captiver grâce à sa dureté, à laquelle s’oppose la force de son héroïne.
Les montagnes du Pays de Galles, au XIXe siècle. L’un des flancs rocheux est exploité par une compagnie, dont les dirigeants sont sans pitié avec les quelques éleveurs et cultivateurs environnants. Le pays est devenu plus boueux et gris qu’avant, et le danger semble rôder : tout ce monde rural semble devoir se soumettre à l’industrie galopante, sous peine de mourir. Même lorsque la messe est dite, les habitants les plus aisés font leurs affaires devant le lieu de culte. Dans cet univers âpre, la jeune Gwen essaye de vivre et surtout de conserver sa foi en elle-même, et en sa capacité à triompher des difficultés.
Plans frappants, fantastique jeune actrice
La Terre des oubliés est un film où certains plans subjuguent, par leur capacité à évoquer très simplement des manques ou des situations dramatiques, et à sidérer d’émotion : lorsque Gwen songe au bonheur familial qu’elle traversait, avant que la machine de guerre n’oblige son père à partir loin, elle revoit en songe un instant de danse euphorique qu’elle vécut avec lui, sa mère et sa sœur, autour d’un rocher, assez présent au sein du film. La séquence, muette, donne à imaginer beaucoup de sons, de mots, et d’impressions d’autres types. De même, un plan fugace sur une montagne sur laquelle les ouvriers viennent s’accumuler suffit à figurer la dureté de leur besogne, en ce temps, et à frapper.
Cette réalisation sobre, aux effets très mesurés et aux ruptures nettes, précises et justifiées, permet à l’interprétation de la jeune Eleanor Worthington-Cox de se déployer, avec une flamboyance souterraine : le visage souvent filmé en gros plan, l’actrice apparaît très en retenue, jamais caricaturale malgré sa nature de toute jeune fille bousculée par une vie impitoyable. Très en intériorité, elle paraît ainsi parfaitement crédible, comme naturellement inscrite dans l’époque peinte à l’écran. La suivre dans ses faits et gestes se révèle donc dépaysant. Et sa capacité à vouloir ne pas baisser la tête demeure admirable, dans un tel contexte. Ses confrontations avec son inflexible et pourtant émouvante mère n’en apparaissent que plus brillantes : dans le rôle de celle-ci, Maxine Peake s’affirme comme une interprète beaucoup plus expressive, mais également extrêmement juste, en proie à des démons aussi physiques qu’intérieurs.
S’il n’est pas parfait au niveau dramatique, et manque un peu d’ampleur (même s’il raconte beaucoup, en peu d’images), La Terre des oubliés peut grandement marquer par les thèmes qu’il empoigne, les quelques personnages qu’il parvient à peindre, et surtout la manière dont il mêle ces deux réussites. Le réalisateur William McGregor parvient à convoquer une ferveur souterraine, qui ne faiblit pas au long de la projection. Une belle découverte.
La Terre des oubliés sortira dans les salles françaises bientôt, distribué par The Jokers (les distributeurs de Parasite, la dernière Palme d’or à Cannes, entre autres).
Visuels : détail affiche étrangère © Endor / BFI / Great Point Media
photo du film © The Jokers