
Cannes 2022 : La Jauria, belle épopée en terres hantées, lauréate du Grand Prix de la Semaine de la Critique
Au cœur de la forêt tropicale de Colombie, de jeunes délinquants ou criminels travaillent à titre de “réinsertion”, tout en essayant pour certains d’oublier un passé parfois cruel… Un film qui parvient à faire surgir les forces habitant les lieux qu’il observe, récompensé par le Grand Prix remis à la fin de la Semaine de la Critique.
La forêt tropicale colombienne, avec sa végétation et ses rocs. Au cœur d’un endroit perdu loin des grandes villes se cache une vieille bâtisse à l’abandon, avec une piscine : des jeunes délinquants, assassins pour certains, sont contraints de la rénover. Parmi eux, il y a Eliu (incarné par le jeune Jhojan Estiven Jimenez), qui voit débarquer dans ce “centre de réinsertion” à ciel ouvert un gars auquel le lie un passé sinistre, El Mono (joué par Maicol Andrés Jimenez, fascinant de par sa présence impénétrable). Venus de la ville, certains tentent de résoudre l’affaire qui amena ces deux adolescents à se faire condamner : en vain, car ils ne disent pas tout. Et lorsqu’on le laisse à lui-même dans le centre, Eliu commence à trembler d’avoir la présence menaçante d’El Mono pas loin de lui. Ce n’est pas là le seul détail inquiétant : autour de ces jeunes, la végétation, les rocs et la terre semblent “hantés” par des puissances, prêts à voir se réveiller le mal qui couve dans cet endroit où le respect de l’ordre est sensé être la priorité.
Dans ce long-métrage, la réalisation d’Andrés Ramirez Pulido opère des glissements, passant par exemple d’une séquence d’errance calme dans le “centre” à une longue phase d’enquête, dans laquelle les deux principaux personnages sont conduits en un endroit où devrait normalement se trouver un cadavre : cette scène-là se détache progressivement, et souterrainement, du calme car le cadre naturel s’y fait de plus en plus oppressant et en tension. Elle aboutit à un plan splendide dans une grotte, au sein duquel les matériaux rocheux apparaissent à la fois menaçant, et en même temps impénétrables, gardant leurs secrets, tandis que les humains en présence à l’écran semblent tout petits.
Au final, au-delà des belles qualités techniques du métrage, c’est son rythme qui accroche : son montage, dû à Julie Duclaux et Juliette Kempf, parvient à faire alterner de manière piquante, et bientôt oppressante, scènes d’interactions entre jeunes, séquences de calme, où parfois les encadrants sont montrés en plein “processus thérapeutique”, essayant de débarrasser les délinquants en réinsertion de leur violence, et passages dans lesquels l’angoisse se met à sourdre. Nul besoin, dès lors, d’appuyer des messages engagés ou sociaux : pourvu d’un rythme interne qui donne très bien à ressentir la vie qui court dans le cadre décrit, le film s’avère très expressif, tout naturellement.
La Jauria sortira dans les salles de cinéma françaises le 5 avril 2023, distribué par Pyramide Films.
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Visuel : © Pyramide Distribution