
La Quinzaine : “Creatura” d’Elena Martin Gimeno, l’histoire du corps

De retour dans la maison de son enfance, Mila n’arrive plus à faire l’amour avec son ami, qu’elle aime pourtant. D’où cela peut-il venir ? Une exploration de l’apprentissage de la sexualité, sincère et touchante.
Dans la maison de son enfance, Mila (Elena Martin Gimeno) ressent soudain son corps comme un ennemi. Rétif, il se braque pendant l’amour. Marcel (Oriol Pla) s’efforce de comprendre, de parler, en vain. Elena Martin Gimeno, qui joue également le rôle-titre de la créature, ne dévoile pas de grand mystère. Pas de traumatisme comme un viol ou un inceste. Juste des malentendus, des regards pesants, une accumulation de remarques blessantes, à l’âge où l’on se construit. Avec délicatesse, la réalisatrice revient sur des épisodes gênants, où le sexe, encore inconnu, vient perturber l’imaginaire de la petite fille. La honte, la pudeur, le dégoût viennent réprimer les élans naturels.
L’éveil sexuel est lié à l’attirance qu’elle éprouve pour son papa. D’où une confusion des sentiments et un éloignement progressif entre le père (Alex Brendemühl, toujours parfait) et sa fille, jusqu’à l’âge adulte. Peu à peu, le père n’ose plus toucher sa fille, même pour danser. Un écart se creuse entre eux. Par périodes, le corps de Mila se couvre de plaques, d’eczéma, expression d’un mal-être qui ne se dit pas. Qu’y a-t-il à dire, en effet ? Rien que de très commun. Ces choses du sexe dont on ne parle pas en famille et qui, enfouies, poussent de manière désordonnée.
Les scènes les plus réussies sont celles où le père tente de renouer, maladroitement avec sa fille. Par instants, ces désaccords entre les sentiments et le corps provoquent un véritable effet comique et nous font sourire. A d’autres moments, la mélancolie l’emporte.
La symbolique de l’eau et de la grotte, la répétition de certains dialogues, le dévoilement trop psychanalytique du complexe d’Œdipe peuvent, en revanche, nous tenir à distance.
Creatura de Elena Martin Gimeno, Espagne, 1h52, 2023, avec Elena Martin Gimeno, Claudia Dalmau, Claudia Borras, Oriol Pla, Alex Brendemühl. La Quinzaine, Cannes 2023.
visuels: photo officielle du film.©