
Biarritz : “Los reyes del mundo” un monde à soi, contre l’injustice des hommes

La réalisatrice colombienne Laura Mora construit un film à la mécanique implacable : le périple à travers les grands espaces ne peut mener qu’à une issue tragique. Un drame poignant, où l’injustice sociale règne en maître.
A Medellin, cinq enfants des rues naviguent, au quotidien, dans la jungle urbaine. Le bruit et la fureur de la grande ville, ils connaissent. Un beau jour, Ra reçoit enfin les papiers tant attendus : sa défunte grand-mère, qui avait été déplacée de force, avait déposé une demande de restitution de sa terre. La lettre l’atteste, désormais, Ra est propriétaire d’une maisonnette sur un petit lopin, dans la montagne.
Les cinq amis partent donc pour la terre promise, pleins de rêves de liberté. Sur la route, ils attrapent un camion au vol, y accrochent leur vélo et slaloment au vent, parfaitement au diapason avec la ligne d’horizon. Ils ont un endroit où aller, où ils ne seront plus méprisés, chassés.
Disons-le, ce film est particulièrement réussi et éprouvant. Dès la première scène, nous sentons que le beau voyage finira mal. Aussi sommes-nous d’autant plus sensibles aux plages de calme, de rêveries heureuses qui s’étirent ici et là. Une belle scène nous montre les cinq adolescents, sous l’effet de la drogue, fixant un brouillard neigeux où se distingue vaguement la forme d’un arbre. Que voient-ils ? “Je rêve d’un monde qui serait mon monde à moi“ dit l’un d’eux intérieurement, “Je voudrais devenir invisible comme une ombre” glisse un autre, “Je rêve que tous les hommes s’endorment, sauf nous“, souffle un troisième, “Je veux la liberté, et les éternels avec nous“, petits mantras magiques. Par moments, Ra croit discerner un beau cheval blanc, comme un vieux rêve d’harmonie.
L’odyssée des jeunes garçons les mènent dans un bordel de vieilles sirènes maternelles, chez un vieil ermite sagace, dans des bars louches où il leur faut veiller à ne pas montrer leur précieux papier. Objet de convoitise, le document officiel pourrait bien, aussi, les diviser entre eux. Après tout, seul Ra est le légataire officiel.
Mais quel droit ont réellement les pauvres sur ces terres colombiennes accaparées par les puissants ? Suffit-il d’avoir le droit pour soi ? L’état de nature, le bon sauvage semblent bien loin, utopies comme les autres. Autour de ces enfants perdus, les humains apparaissent menaçants ou, pire peut-être, indifférents. Plus l’issue approche, plus les yeux de Ra concentrent toute la violence de sa déception, à la mesure de l’attente.
Bouleversant, le film a fortement ému les festivaliers.
Los reyes del mundi (Les rois du monde) de Laura Mora, Colombie, 105 minutes, avec Carlos Andres, Castaneda Brahian, Acevedo Davison Florez, Cristian Campana, Cristian David. Festival de Biarritz 2022, en compétition.
visuels: photo officielle du film.©