
Biarritz: “Capitu e o capitulo” beau film malade d’après Machado de Assis
Julio Bressane est un cinéaste brésilien marginal et culte (Il a tué sa famille et est allé au cinéma en 1969, L’Herbe du rat en 2009). Avec Capitu e o capitulo, Bressane adapte très librement le sublime roman du brésilien Machado de Assis, Dom Casmurro. Un film étrange, syncopé, intime.
En ouverture, par vidéo, Julio Bressane remercie chaleureusement le festival et nous, spectateurs, pour la projection de son film. Le roman Dom Casmurro est inoubliable, merveilleusement tranchant et limpide. Comme nous, Bressane en est imprégné : Que peut-il en faire, comme cinéaste ? C’est la structure très chapitrée du récit qui l’a particulièrement intéressé, nous confie-il (“Dom Casmurro fait 160 pages et compte 148 chapitres !“).
On sait que Machado de Assis (1837-1908) était asthmatique. Bressane décide de chapitrer son film, en séquences courtes, comme une respiration malade, en hoquets. L’idée est belle. Dom Casmurro parle d’un amour trahi. Le narrateur, qui a longtemps été silencieux (le surnom Casmurro signifie le solitaire), se livre, par bribes. Il raconte l’enchantement de l’amour avec Capitu, les tourments de la jalousie, puis la trahison. La langue, merveilleuse, restitue la beauté et la pureté, alors même que celui qui parle connaît la fin.
Ici, les images sont évidemment très personnelles. Car elles font directement appel aux fantasmes. Rousse, Capitu possède un corps délié et ses fameux “yeux de ressac“, gris comme les vagues de l’océan. Dom Casmurro âgé nous regarde et s’adresse à nous depuis son cabinet de travail, rempli de livres de ses poètes préférés (pas toujours les plus reconnus), ceux qui célèbrent la vie, “les jupons”, la mort à l’oeuvre. On pense au roman Dominique de Fromentin, où le narrateur relate lui aussi ses belles années depuis son cabinet exigu, plein de livres.
Dans Capitu e o capitulo, les scènes de couple sont les plus belles, entre Casmurro jeune et Capitu, ou bien avec Sancha, qui promet et offre bien plus que le jeune homme ne désire. Les mots disent ce qui ne suffit pas à attacher l’autre, ce qui échappe. Les récits érotiques tentent de captiver les imaginations. A ce jeu, Capitu gagne toujours, lascive dans des draps de soie ou altière avec des larmes de pierre. Les rubans de la mémoire se déroulent, dans le désordre, avec les heurts vifs de la jalousie malade. Dans des salons bourgeois, meubles anciens, belles porcelaines et fleurs assorties, les couples déambulent en automates. Les personnages secondaires sont explicitement montrés sur une scène, burlesques. Les héros promènent leur hantise et leur désir brûlant, sous le faisceau de la conscience du moment présent, où les choses sont achevées.
Bressane entrecoupe les séquences d’images indélébiles : des vagues grises, une pomme volée par une main rougie, les perles d’un collier, des tableaux avec corps nus et faunes. Et, superbe, ce squelette sur lequel une main promène un micro, qui fait entendre le bruit sourd du temps qui est toujours déjà passé.
Un grand merci à Julio Bressane pour sa lecture, personnelle, de Dom Casmurro, roman qui rencontre ce que l’âme contient peut-être de plus intime.
Dom Casmurro: “Cependant, un jour, Capitu voulut savoir ce qui me rendait ainsi taciturne et maussade. Et elle me proposa l’Europe Minas Geraens, Petropolis, une série de bals, enfin mille de ces remèdes que l’on conseille aux mélancoliques. Je ne savais que lui répondre et je refusais ces distractions.” (chapitre 130)
visuels: photo officielle du film; affiche officielle du Festival de Biarritz 2021.