Arts
Rituels. – décrochage à la Fondation Ricard

Rituels. – décrochage à la Fondation Ricard

11 July 2011 | PAR Smaranda Olcese

Jusqu’au 9 juillet les espaces de la Fondation Ricard étaient sous l’emprise de la nature – une nature hiératique qui déployait son pouvoir de fascination à travers des pratiques mixtes  (dessin, photographie, peinture, sculpture, vidéo et installation) dans les œuvres de Neil Beloufa, Ann Craven, Vidya Gastaldon, Markus Hansen, Alexandre Joly, Laurent Le Deunff, Julia Lohmann, Théo Mercier, Alex Pou, Julien Salaud et Stéphane Vigny.

Le jeune curateur Gaël Charbau, fondateur de la revue Particules, a imaginé un parcours immersif où les œuvres se répondaient à différents niveaux – des signaux sonores, des gestes et grimaces figées, des couleurs exubérantes – entretissant une synesthésie trouble qui ouvre les voies d’autant de parcours initiatiques marqués par des rituels personnels de conjuration des puissances naturelles. Rituels. On remarquera le pluriel qui fait signe vers la diversité des pratiques et le point qui les refuse à toute explicitation univoque et réductrice.

D’entrée en jeu l’œuvre de Stéphane Vigny, Fusils (2004) place l’exposition sous le signe d’un bouleversement radical des repères. Cette pièce opère, à travers ses différentes périodes de rotation, un glissement des sens et l’éclatement de la temporalité unique. L’artiste pointe ses deux fusils de chasse, anciens, anachroniques, vers le ciel et place par ce geste même sa cible à un autre niveau de significations. L’efficacité symbolique de son acte s’engouffre dans le décalage entre les rythmes des deux dispositifs motorisés qui portent les fusils et en rejaillit démultipliée, affirmant une volonté d’emprise sur les modalités de manifestation de la vie, de la patience et d’une certaine lenteur à la rapidité et à l’urgence.

La deuxième salle nous met en présence simultanée de 45 faces de la lune, toujours pleine, magnétique, entourée d’un halo argenté, insistante et fixe sur un ciel plat sans tâche, parfois occultée par des feuillages, légèrement voilée ou carrément menacée par des nuages. Ann Craven a imaginée cette Moon Room for Reims (entrée dans la collection Frac Champagne-Ardenne en 2007) à partir de 45 peintures à l’huile. La temporalité spécifique de cette œuvre se démultiplie de manière vertigineuse car chaque toile est le témoin d’un moment précis de sa réalisation. Derrière une certaine naïveté figurative se cache l’obstination d’un unique geste qui tente de capter le mystère de l’astre de la nuit. A la rondeur parfaite de la pleine lune sur les mur répond au sol la symétrie également parfaite d’un tapis circulaire de plumes de paon qui joue des motifs naturels pour créer des effets caleïdoscopiques dans un véritable vortex prêt à perdre le regard dans un miroitement de couleurs. Le repos du guerrier, cette œuvre de 2008 signée par Alexandre Joly, qui semblait paisiblement circonscrite à son horizontalité, envahit l’espace de par sa dimension sonore : le plumage semble s’animer du chant de mille cigales et autres bestioles et donne une densité particulière à l’atmosphère de cette salle de la nuit à 45 lunes.

Le temps tend à se coaguler dans la vidéo d’Alex Pou, Grand Capricorne (2008). Jour et nuit finissent par ne faire qu’un et son écoute cannibalise sa vision du monde. C’est l’histoire de Knud Vicktor, ermite contemporain du Sud de la France, que le vidéaste inscrit librement dans des gros plans et des flous riches en substance vitale, mise également en mouvement par les nappes lourdes et denses, parfois porteuses de germes de dramaturgie, de la création sonore de Gerome Nox.

Le temps s’arrête de manière extatique, prisonnier à jamais de la Constellation du cerf II, œuvre dont la manière d’apparaître nous frappe avec la force d’une vision hallucinée.Julian Salaud a l’intuition d’un détournement audacieux et libère l’œuvre artisanale d’un taxidermiste de sa fonction strictement, tristement décorative. Il réintègre ce cerf au bois majestueux dans les rythmes de la vie dont les flux sont réveillés par les centaines de clous qu’il enfonce dans le corps soigneusement préparé et conservé, clous voués à capter et fixer les énergies – à la manière des objets de pouvoir vaudou – et qui deviennent le support d’un étourdissant réseau de fils qui le font quasiment disparaître sous une tessiture dense, symétrique, répondant à une volonté qui nous échappe. La volonté de l’artiste, certes, mais dans sa détermination sans faille, elle s’apparente aux phénomènes biologiques, cannibalise son support – sous son emprise, le cerf mue devant nos yeux. La blancheur fibreuse de la résille appelle par opposition l’éclat noir d’un énigmatique objet laqué qui se trouve dans la salle de la nuit. Le Tabouret Lasting void (2007) crée par Julia Lohmann évoque dans son silence autosuffisant une chrysalide, et renvoie ainsi l’animal de Julian Salaud vers une possible transmutation : énorme chrysalide en devenir d’où à terme pourra éclore un espèce fantasmagorique et étonnante.

Un devenir animal guette en plusieurs œuvres de cette exposition. La transformation pourrait être lente, par à coup, sorte d’évolution inexorable d’un compte à rebours, quelque part attendue, naturelle, à l’image du double triptyque montré, toujours par Julian Salaud, dans la première salle. Aux gravures du Chevreuil sans tripes répondent les crânes ornés des cheveux de l’artiste dans Enchevelis – double changement d’état régi néanmoins par les lois de la décomposition. Cette transformation peut être, au contraire, mystérieuse, lente et laborieuse, spectaculaire et inquiétante, tel le cocon en train d’engloutir l’animal tout entier dans la Constellation du cerf II. La transformation peut enfin s’opérer de manière radicale, frapper avec immédiateté, tel ce regard troublant qui accroche et soutient notre propre regard dans les photographies grand format de Markus Hasen, Pig with my onw eyes et Calf with my onw eyes (2011). La vidéo d’Alex Pou est le lieu par excellence d’une osmose avec la nature : le corps d’homme est fragmenté par des gros plans, dissout dans des flous, il se perd dans le paysage sylvestre et devient lui même un paysage parcouru par milles signes d’une vie organique et minérale. Des non gestes font événement – l’attente, l’écoute, un œil qui se referme ébloui par la lumière qui filtre dans le sous-bois, des fissures qui courent sur les écorces tels des entailles. Dans le dernier plan, d’ensemble cette fois-ci, la forêt se referme comme une masse noire et opaque sur le grouillement incessant de la vie dans son règne.

Les relations à l’œuvre entre les pièces présentées dans cette exposition pourraient se décliner de maintes autres manières. Gaël Charbau en a l’intuition quand il évoque la puissance polymorphe du mythe, qui est en effet la totalité de ses variantes : il n’y a pas de bonne version [d’un mythe], ni de forme authentique ou primitive, toutes les versions doivent être prises au sérieux » (Claude Lévi-Strauss). Rituels. réussit l’exploit de débrider les sens et libérer l’imaginaire contemporain du pouvoir d’un discours unique hélas trop étendu.

photographies @Marc Domage, Julien Salaud

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Smaranda Olcese

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