La Page Manquante , Itération 2 !
N’avez-vous jamais feuilleté un ouvrage avant de réaliser qu’il y manquait quelque chose ? L’ajout d’une référence ou l’apport d’une autre œuvre qui permet de lire réellement l’ouvrage et s’en imprégner enfin. Voilà le projet de La Page Manquante.
Malgré la fermeture des lieux culturels – depuis maintenant quelques mois – quelques privilégiés ont eu le droit de découvrir cette exposition surprenante au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Une grande salle d’une blancheur immaculée accueille quelques tables en bois très simples qui sont disposées ça-et-là. La sobriété du lieu met en valeur les ouvrages déposés sur ces tables et qui n’attendent que d’être (re)découverts à une lumière nouvelle. Si certaines œuvres peuvent être manipulées, beaucoup ne doivent pas être touchées ; impossible donc d’en connaitre le titre.
Certains ont choisi un roman, notamment 1984 ou J’irai cracher sur vos tombes, d’autres des catalogues d’exposition, celui de Pompidou par exemple, mais on y trouve aussi des anecdotes inédites sur quelques œuvres, qu’elles soient théâtrales ou plastiques. Cet apport personnel – ce sont environ soixante personnes qui ont chacune donné leur page manquante – résonne pourtant universellement. C’est le cas pour un ouvrage qui cataloguait les chefs d’œuvre du Centre Pompidou, auquel étaient apposés des post-it roses et bleus. Les roses pour les artistes masculins, les bleus pour les artistes féminins. Le rendu visuel est saisissant tant la différence est importante. De quoi faire réfléchir sur la place des artistes féminines dans l’Histoire de l’Art.
Parfois, il est plus difficile de saisir le sens de l’ajout, le reste de l’œuvre étant inaccessible. C’est le cas pour un livre dont chaque page avait été simplement recouverte d’une feuille blanche. Impossible de savoir quel ouvrage se cachait en-dessous ; mais le mystère fait parti du jeu. Certains messages sont moins équivoques car ils s’expliquent : un artiste avait choisi de créer une feuille transparente surlignée de noir comme s’il s’y trouvait des lignes. Ces lignes cachaient évidemment le texte qui se trouvait en-dessous : pour lui, pas d’importance que ce soit la page 13 ou 67. La disparition est toujours la même ; les mots sont si simples à cacher.
Cette exposition permet de redécouvrir des œuvres connues par soi à travers le prisme de quelqu’un d’autre et enrichit considérablement la vision que l’on pouvait avoir de celle-ci. Mais elle fait également appréhender de nouvelles œuvres avec un regard déjà différent. Ces addenda font réfléchir sur la pérennité des œuvres, leur caractère à la fois éphémère et éternel, toujours en mouvement mais pourtant si fixe. Une œuvre en est des millions, elle est les interprétations de chacun et son essence ne se limite pas à sa seule existence. La Page manquante fait regarder l’art avec les yeux d’un autre et multiplie les perceptions nouvelles.
Crédits visuels : ©Renaud Auguste-Dormeuil