Archéologie fictionnelle : Sophie Restino sculpte le temps

16 March 2023 | PAR Jean-Marie Chamouard

Sophie Restino expose ses œuvres dans la galerie de Xavier Gras, Le Bonheur est dans l’instant, 72 Rue Amelot, Paris 11?. L’exposition Archéologie fictionnelle, Torses en vestiges et autres éclats de corps est ouverte au public du 15 au 26 mars 2023 de 15 à 19h.

Un voyage dans le temps

Les sculptures noires ou grises tranchent avec le blanc lumineux de la galerie. Une galerie spacieuse, les œuvres respirent, l’ensemble est très esthétique. Une vingtaine de sculptures créées en de divers matériaux : laiton, bronze, acier, fibre de cellulose recyclée. L’exposition débute par “La grande métamorphose”, un oiseau en laiton juste sorti de sa coquille. C’est un vestige d’une grande fragilité, mais l’oiseau est debout, la vie débute, il semble avoir aussi un avenir. “La petite métamorphose” est un torse en laiton qui parait disloqué par le temps. Les bustes en bronze évoquent, eux, des cuirasses de soldats romains. Leur solidité rassure, ces sculptures peuvent résister au temps et devenir des vestiges… pour le futur. Face aux torses en cellulose, le temps parait immobile, presque momifié. Il parait s’être accumulé dans les sculptures, en couches successives. Le visiteur peut imaginer un chantier archéologique. La jambe en acier sur socle de chêne est au centre de l’exposition : cet éclat de jambe parait abîmé par le temps, le pied est fragmenté, mais c’est le pied d’un marcheur qui va vers l’avenir.
La fragilité de la condition humaine, l’impermanence sont au cœur des œuvres de Sophie Restino. Son archéologie fictionnelle explore le temps vers un passé lointain, mais aussi vers un avenir dans lequel l’artiste voudrait laisser une trace.

“Pour moi la sculpture est sacrée”

Jean Marie Chamouard: Comment vous est venu votre vocation de sculptrice??

Sophie Restino: c’est grâce au film de Bruno Nuytten consacré à Camille Claudel . J’ai été séduite par la personnalité de l’artiste et surtout par son œuvre que j’ai ensuite découvert progressivement.

JMC: comment avez-vous appris la sculpture??

SR: Pendant les années 90 j’ai intégré des ateliers d’amateurs : cela m’a beaucoup plu. J’ai fait des stages aux Beaux Arts puis élève durant cinq ans d’Ilio Signori qui m’a tout appris, le volume , la lumière.

JMC: Avez-vous déjà exposé??

SR: Oui j’ai exposé à Paris en galerie. J’ai travaillé pour l’ouverture de l’espace culturel à Sucy-en-Brie et pour le centre culturel d’Ormesson sur Marne.

JMC: Comment travaillez-vous??

SR: Mon travail est une recherche sur la forme. En fait, je suis entraînée par mon matériau. Je pars d’une idée, mais sans connaître le résultat final. Je me laisse emporter par ce que devient la matière.

JMC : Pourquoi sculptez-vous des torses??

SR: J’admirais beaucoup les bustes antiques, mais je voulais faire des œuvres personnelles. Mes torses ont un aspect très minéral. Ils pourraient avoir été retrouvés sur des fouilles archéologiques.

JMC: Une impression de fragilité se dégage de vos œuvres.

SR: Oui, des matériaux fragiles, périssables peuvent donner l’illusion de leur ancienneté. Il y a un paradoxe entre la simplicité des matériaux utilisés et la préciosité pour moi de ces vestiges fictifs. C’est peut-être pour cela qu’ils sont dans des vitrines, un peu comme des pièces de musée.

JMC: Votre exposition est une recherche sur le temps. Quel est votre rapport au temps??

SR: j’ai toujours été préoccupée par le temps. J’ai longtemps sculpté des anges, une autre façon peut être d’aborder l’immortalité?! J’ai beaucoup aimé le livre de Maylis de Kerangal: Réparer les vivants. Je sculpte des corps blessés par le temps. Ces éclats de corps sont aussi une tentative de réparation des corps. Ils sont aussi tournés vers l’avenir.