“Merteuil” au Lucernaire, savoureux

Attention : Merteuil n’est pas un spin-off des liaisons dangereuses, mais un prolongement. La pièce imaginée par Marjorie Frantz raconte la rencontre entre La marquise de Merteuil et Cécile de Volanges, quinze après les faits relatés dans le roman. Cette rencontre est à ne pas manquer. 

Les Liaisons dangereuses, 15 ans après

La marquise de Merteuil est l’un des personnages du roman épistolaire Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Veuve, d’une grande beauté, manipulatrice et orgueilleuse, elle est une libertine dans l’âme. Elle exècre l’amour, car cela permet aux hommes d’exercer un pouvoir sur les femmes. Dans ses lettres adressées au vicomte de Valmont, elle expose les règles du libertinage dans la noblesse française de la fin du 17e siècle. Pour assouvir une vengeance personnelle envers le comte de Gercourt, un ancien amant qui s’est détourné d’elle, elle ira donner des instructions au vicomte. Elle manipulera aussi la pauvre et candide Cécile de Volanges. Le roman s’achève avec la mort de Valmont tué en duel par le Chevalier de Danceny, jeune amant de Cécile, l’entrée au couvent de Cécile et la fuite de Merteuil qui, honteuse, doit s’exiler loin de Paris. 

L’éditeur de ses lettres prétendument retrouvées a laissé en bas de page à la fin du roman la note suivante : Des raisons particulières et des considérations que nous nous ferons toujours un devoir de respecter, nous forcent de nous arrêter ici.  Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au lecteur la suite des aventures de mademoiselle de Volanges, ni lui faire connaître les sinistres événements qui ont comblé les malheurs ou achevé la punition de Madame de Merteuil. Peut-être quelque jour nous sera-t-il permis de compléter cet ouvrage ; mais nous ne pouvons prendre aucun engagement à ce sujet, et quand nous le pourrions, nous croirions encore devoir auparavant consulter le goût du public, qui n’a pas les mêmes raisons que nous de s’intéresser à cette lecture.

N’oubliez jamais que lorsqu’une femme en combat une autre, l’issue est souvent fatale 

Ce jour-là est donc arrivé par la plume -et le jeu- merveilleuse de Marjorie Frantz. Quinze ans après la mort de Valmont, Merteuil va réapparaître, invitée par Cécile de Volanges pour un face-à-face qui va s’apparenter à un règlement de compte. L’instant est savoureux.  Salomé Villiers propose une scénographie autour d’un huis clos savamment étouffant. Chloé Berthier (Cécile) et Marjorie Frantz (Merteuil) sont formidables d’incarnation, car la pièce est un trajet humain et philosophique.  Elle consiste en un terrible réquisitoire contre un patriarcat qui ne laisse à aucune peu d’échappatoire à l’emprisonnement symbolique. Dans cette cellule métaphorique, chaque phrase échangée entre les deux femmes découvre la lame d’un couteau. Elles sont ennemies en même que codétenues. S’ajoute à cette ambivalence un érotisme lesbien présent dans le roman. Les deux comédiennes restituent la tension de cette équivoque ; la situation nous secoue, nous interroge, nous maltraite parfois. Au-delà du plaisir littéraire intense, l’expérience de spectateur se constitue de ce malaise de deux femmes piégées.  

Être mère

Il n’empêche. La fin se révélera délicieuse. Cécile aura sa vengeance. Elle aura réussi à utiliser le patriarcat comme un marchepied vers l’émancipation. Nous ne spolierons pas le destin de Merteuil. La confrontation des deux merveilleuses comédiennes, des deux personnages, est autant belle qu’édifiante. La pièce est aussi une aventure de femmes du 21e siècle. La plume de Marjorie Frantz est précieuse pour comprendre mieux ce qui se trame aujourd’hui dans le cœur des femmes. Quel bonheur de découvrir ce parcours de femmes.  Avec, à la pliure des dilemmes, la question inépuisable de la maternité. C’est extra.

MERTEUIL

De Marjorie Frantz
Mise en scène Salomé Villiers
Assistant mise en scène Alexandre de Schotten
Avec Chloé Berthier et Marjorie Frantz
Avec la voix d’Arnaud Denis
Musique Adrien Biry Vicente
Lumière Denis Koransky
Costumes Peggy Sturm et Jérôme Pauwels
Décor Marjorie Frantz

Crédit photo © Cédric Vasnier