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Sur le port du Havre, il y a les marins de Pierre et Gilles qui pleurent

Sur le port du Havre, il y a les marins de Pierre et Gilles qui pleurent

29 May 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le si lumineux MuMa expose depuis le 27 mai et jusqu’au 20 août Clair-Obscur qui fête 40 ans d’amour et de travail entre Pierre et Gilles. La version havraise de l’exposition qui vient de fermer ses portes à Ixelles est une déclaration d’amour de deux artistes envers une ville, des amis et des mythes. Indispensable.

Le Havre fête ses 500 ans et le premier ministre, ex-maire, Édouard Philippe a choisi samedi, devant une foule immense, d’inaugurer cet anniversaire devant les cabanes de plages de Pierre et Gilles. Ne revenons pas 500 ans en arrière mais plutôt 60 pour rappeler que Gilles Blanchard est né au Havre. Pierre Commoy lui est devenu Havrais d’adoption. En plus de la très belle rétrospective montrée à Ixelles, le MuMa, sous le commissariat de la brillante Sophie Duplaix (Paris – Delhi – Bombay à Beaubourg, c’était elle) a installé, en accord avec le couple, trois autres axes : des cabanes de plage, une extra-territorialité des collections du musée et une salle des souvenirs.

Elle raconte : « Chez Pierre et Gilles, il y a des thématiques que l’on retrouve tout au long de leur carrière ». Exact. La mer, les marins, la religion, les muses… mais il y a surtout l’invention d’un geste, d’une technique, que l’on ne peut comprendre que si on s’approche très près des toiles. Quand on demande à Pierre et Gilles ce qu’ils pensent de la qualifiaction « kitsch »  de leur travail, ils se mettent en colère et affirment que le kitsch « ne veut rien dire aujourd’hui ». Il est faux de vouloir garder de cette production d’une centaine d’œuvres les paillettes et les roses, nombreuses. Leur inspiration se niche chez les impressionnistes, Dufy en tête dont ils ont choisi plusieurs tableaux au sein de leur sélection libre dans les collections du MuMa. Idée géniale qui a permis aux deux artistes de montrer leurs origines. Dufy a peint le Havre et Pierre et Gilles lui ont piqué son bandeau d’hommage à la ville, il a peint des toiles pleines avec au centre… des personnages, des sirènes.

Mais revenons à la technique car les toiles de Pierre et Gilles ont tant et tant été recopiées que l’on en oublie que c’est un travail de photographie et de peinture, ensemble, pensé dans un décor et encadré en fonction du sujet. Il faut voir ces images comme des spectacles dont les modèles sont des acteurs.
Frappés en plein pendant le cœur des années Sida, toute la rétrospective montre un chemin militant à la tristesse pailletée. Naufragé, Le Triangle rose sont des hommages aux disparus. Alors, on trouve des figures tutélaires qui viennent protéger les cœurs. Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, La Méduse, présentée comme La Joconde et même une Vierge à l’enfant.
Pour les comprendre, une pièce aux souvenirs nous entraîne dans l’enfance et les pochettes de disques. On retrouve Daho et Vartan qui seront tous les deux portraitisés par le duo. Ce tendre cabinet de curiosités mêle un meuble d’enfant que le père de Gilles avait fabriqué pour lui aux photomatons par centaines. Le tout est enserré dans les filets de pêche chers aux marins. La ville et surtout son port se retrouvent souvent dans les portraits de marins, particulièrement dans le si beau Les amoureux où un marin embrasse un jeune homme à la casquette, ou dans le si drôle Full moon.
Pierre et Gilles ont imposé dès la fin des années 70 des images gays, des hommes nus. Le célèbre Jardinier qui urine a même été l’affiche d’une exposition en Allemagne à la fin des années 90.
L’intelligence du commissariat a été de montrer le travail, artisanal. Les cabines mettent justement le décor en décor. Elles sont cinq : Histoire de plage (2009), Le Fruit défendu (2011) avec Arielle Dombasle en Eve acidulée, Stromae (2004), Le petit bal (2015) et 40 ans-Autoportrait (2016) où Pierre et Gilles posent devant un énorme gâteau.
Et ce que l’on prenait pour de la peinture dans le portrait de Conchita Wurst s’avère être des bouches rouges collées sur un tulle. Et sur De l’autre côté de l’amour où pose Sylvie Vartan ce ne sont pas les lumières de la ville qui pointillent mais bien les touches de peinture de Gilles sur les photos de Pierre.

40 ans donc. Depuis la première, Grimaces, qui était un portrait multiple d’amis. Et en 40 ans, ils sont devenus incontournables. Ils ont réhabilité l’art très éternel du portrait à la façon des impressionnistes. Pas étonnant d’ailleurs de voir dans l’exposition la superbe Parisienne de Montmartre de Kees Van Dongen. Alors, on les retrouve sur des affiches, comme celle de Maison de Poupée avec Audrey Tautou. Et on croise du people en tout genre, comme Marilyn Manson.

Les anonymes et les célèbres, les hommes et les femmes, les gays et les hétéros. Ils ont mis en scène la société que compose leurs amis, leurs rencontres. Pierre et Gilles ne sont pas des artistes de commande. Ils sont des amoureux. Et en amour, ils ont décidé de ne pas transiger.

Il y en a des cœurs, des baisers et des rubans, des mariages aussi. Il y a le premier amour qui avait à l’époque choqué le Figaro, celui d’Adam et Eve en 1981. Il y a Stromae qui tient dans ses mains une couronne de roses en forme de cœur. Stromae, le chanteur qui a arrêté de chanter, qui nous faisait danser sur la disparition de son père. C’est exactement cela Pierre et Gilles, car si on regarde l’eau Dans le port du Havre, elle est sale. Et sous La vierge à l’enfant il y a une décharge. Si les cadres sont à eux seuls des œuvres qui rappellent le décor de la scène, souvent glam, ils chargent la barque pour amener l’humour et la distance qui permettent de poursuivre malgré les drames. Ils en appellent souvent aux Dieux, mais Oreste semble déprimé et Narcisse lui s’ennuie à trop se regarder.

40 ans d’un art classique, celui du portrait, qu’ils ont totalement repensé intellectuellement et artistiquement, cela vaut bien un petit tour au Havre, et puis, ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir des chalutiers partir et arriver entre deux toiles.

Visuels : PIERRE ET GILLES – Pierre Commoy (1950) et Gilles Blanchard (1953), Dans le port du Havre (Modèle : Frédéric Lenfant), 1998, photographie peinte – pièce unique, 101 x 124 cm. Collection particulière. © Pierre et Gilles

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L’Alizé
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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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