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Anticorps : l’exposition épidermique du Palais de Tokyo

Anticorps : l’exposition épidermique du Palais de Tokyo

23 October 2020 | PAR Yaël Hirsch

Alors que la Carte Blanche à Anne Imhof a été repoussée au mois de février 2021, l’ensemble des curateurs du Palais de Tokyo propose une exposition épidermique de réaction à la crise du COVID, réalisée en moins de 6 mois et qui réunit 20 artistes. Masqué et respectant parfaitement les gestes barrières, le vernissage de ce jeudi 22 octobre a néanmoins attiré un public divers, curieux, nous rappelant combien la culture aide à vacciner contre la maladie et ses destructions. 

Un mot polysémique

C’est donc au coeur du confinement que les commissaires du Palais de Tokyo, Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc, Cédric Fauq, Yoann Gourmel, Vittoria Matarrese, François Piron et Hugo Vitrani ont commencé à penser l’exposition “Anticorps”. Et ce, avec toutes les richesses de la polysémie du mot. A la fois ce qui permet de lutter contre le virus; et réflexion, distance demandée et résistance à la pression sur les corps. Cette réunion de 20 artistes propose une déambulation dans l’espace du Palais de Tokyo selon quatre zones. Et, comme à la biennale de Venise, certains artistes y interviennent plusieurs fois. Tout commence à l’entrée par deux oeuvres de Carolyn Lazard et Dominique Petitgand, qui interrogent la voix scindée du corps qui se situe à la fois dans et hors de lui. Cette entrée donne un peu le ton de l’exposition, plus intempestive et indomptable que véritablement angoissante.

La question de la limite

La deuxième partie propose de s’enfoncer dans les “tactiques tactiles” de corps en réaction au monde. Et dès les premiers pas un thème clé de l’exposition apparaît : celui de la peau comme frontière, celle de la limite faite chair. Le camp d’entraînement de la vidéo de Lola Gonzalez, les tatouages minutieux d’Achraf Touloub, comme l’aquarium de Josefa Ntjam ou les peintures et les animations de Tala Madani interrogent le point exact où le corps se heurte au monde. Trois vasques qui ressemblent à des fonds baptismaux proposent un contact sécurisé. C’est sous plastique, avec des décalcomanies mises à disposition par Kevin Desbouis, que l’on peut se tatouer les tracés de dérapages policiers. Quant aux armes courbes suspendues de Tarek Lakhrissi, elles nous parlent d’après Les Guerrillères de Monique Wittig et sur une bande son d’héroïnes comme Xenia ou Buffy. 

L’anticorps des femmes

La place des femmes dans l’espace public est également au coeur du troisième espace intitulé “Autour d’un feu”. On entre par le kiosque géant et girly d’Emily Jones et  tombe sur les corps féminins aplatis sur du mobilier public de Pauline Curnier Jardin. Puis l’on s’avance vers les oeuvres de Tala Madani. Et l’on termine par un travail vidéo de Koki Tanaka sur les couples mixtes au Japon, mis en lumière auprès de chaises, comme un “foyer”. Cette salle propose ainsi d’entrer dans l’univers domestique. Famille confinée, famille je vous hais ! Avec pour paradoxe que les frontières sont davantage urbaines qu’épidermiques ou intimes.

Une réflexion sur la Covid par des jeunes artistes

Enfin, c’est la suave odeur de la verveine passée en contrebande par Ghita Skali qui guide notre déambulation, beaucoup plus éclatée, dans le troisième espace de l’exposition. Celui-ci est intitulé “Sur la ligne” où la question de la limite est ouvertement posée. Non seulement avec les gants à deux doigts avec lesquels nous sommes invités à nous servir dans les 200 kgs de verveine. Mais aussi à travers des oeuvres d’artistes qui nous sont déjà familiers : les poèmes de Kevin Desbouis, les bonshommes enfermés de fils de Özgür Kar et les enluminures d’Achraf Touloub. Tout ceci nous mène à nouveau vers une interrogation sur le corps de la femme, meilleur anticorps qui soit, dans une vidéo de Computer-generated imagery signée Kate Cooper où le corps d’une héroïne de cinéma (dans une des anciennes salles de la Cinémathèque) semble oppressée de toutes parts.

Un final en forme de lanterne magique épidermique, qui nous fait réaliser combien cet Antiviral nous a familiarisé avec le travail de jeunes artistes et comment il nous a fait réfléchir, nous, ici, réunis masqués, sur l’interdiction de s’approcher et de se toucher.

 

 

 

Visuels : images de l’exposition  / affiche /  Josèfa Ntjam / Courtesy de l’artiste

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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