Cristóbal Ochoa : “Les artistes sont très importants dans la lutte contre la dictature”
Cristóbal Ochoa, 33 ans, est un artiste polyvalent vénézuélien. Diplômé des Beaux-Arts de Caracas, dans son pays natal, il rejoint l’atelier des artistes en exil de Paris en 2018 un an après son départ forcé du Venezuela. Nous l’avons rencontré durant le Festival Visions d’exil qui se tient jusqu’à ce soir, 30 novembre 2019. Portrait.
Partir, c’est toujours un peu rester. En 2017, Cristóbal Ochoa reçoit un appel qui va profondément marquer sa vie, la veille de son anniversaire. Il apprend que son nom est sur une liste. On lui conseille d’arrêter ce qu’il fait et de quitter le pays avant d’être intercepté par la police. Au Venezuela, le climat politique est tendu. La parole publique a perdu de la voix. La crise économique avait frappé de plein fouet. Les pénuries n’en finissent pas. Cristóbal Ochoa et d’autres artistes ont choisi la non-violence dans les manifestations populaires qui traversent le pays. Leur art se met au service des contestations du peuple. Le sculpteur utilise la vidéo et la photographie pour témoigner de la situation du pays qu’il dénonce avec ces mots : la dictature au Venezuela. “Nous artistes avons le devoir de déconstruire tout appareil communicationnel de la dictature” dit-il avant de poursuivre “Et pour moi les artistes sont très importants dans la lutte contre la dictature.” Selon lui, la sphère artistique a le devoir de combattre l’utilisation de l’image d’un peuple qui porterait la seule et même voix du pouvoir à l’unisson. La répression s’est durcie, les artistes et intellectuels sont susceptibles d’être arrêtés. Qui sait ce qu’il se passera? Au détour d’un heureux hasard, Cristóbal s’envole pour la France quelques jours à peine après l’appel téléphonique. Il a été invité à participer à une conférence sur son travail dans les manifestations. Il faut partir, même si il l’affirmera plusieurs fois, malgré toutes les critiques émises il aime son pays et les Venezueliens aussi. Voilà le début de son exil.
“L’art est une espèce de thérapie très efficace”
L’artiste vénézuélien finit par s’installer en France, en tant que réfugié politique. Pour la première fois de sa vie, un vide intense l’emplit jusque dans sa créativité. “J‘ai réalisé que j’étais en danger, car quand un artiste ne produit pas il est en danger.“ confie t’il. “La dépression est facile pour les artistes parce que nous sommes peut-être plus sensibles et l’art est une espèce de thérapie très efficace“. Un an après son arrivée, Cristóbal Ochoa entre au sein de l’atelier des artistes en exil qui lui permet de rencontrer d’autres artistes et exorciser les sentiments enfouis en lui. Son parcours oriente différemment son chemin artistique, il l’explique par une nouvelle nécessité expressive. Alors que cette année le Festival Visions d’Exil s’attache la problématique de la langue, il saisit l’opportunité et produit une création vidéo “E“. Cette lettre qui change de son sert de métaphore aux difficultés rencontrées. “J’ai réalisé que mon premier facteur de stress est la langue. Il y a une espèce de rejet de la langue et de difficulté parce qu’on a la tête dans les papiers. Les premiers mots qu’on apprend sont asile, demandeur d’asile, papier, adresse, dictature. Des choses qui sont très froides et bureaucratiques. Ces mots rentrent dans le subconscient plus rapidement car ils sont traumatiques.” L’artiste ajoute que ce rejet est problématique car la langue est le plus important dans une culture: c’est l’expression des sentiments, de son identité ou un outil important de socialisation.
L’exil : source d’un nouveau processus de création
Sculpteur, photographe ou vidéaste Cristóbal Ochoa ne se cantonne pas qu’à une seule discipline et se définit comme un artiste polyvalent. Sa fuite en France l’amène a découvrir une nouvelle culture, de nouveaux codes et une autre organisation de la société. L’exil reste pour lui un thème très fort qui questionne sa démarche créative. “Au Venezuela, je travaillais de manière plus rapide et intuitive. Aujourd’hui je pense à ce que je vais faire avant de le réaliser. A Paris on a moins de temps, d’espace et un besoin d’argent. Le processus de création est différent et ça m’a changé. ” Lui-même se rend dans les manifestations des gilets jaunes, une manière pour lui de mieux saisir les problématiques françaises et s’adonner à la comparaison de ce qu’il a vécu. En parallèle, le sculpteur atteste que les artistes ne sont pas militants d’un parti politique. Il affirme que “Les artistes ne sont pas nationalistes. Nous sommes plus sur le moment, le temps et l’espace et non sur le pays. Nous croyons aux droits de l’Homme. Nous croyons que la critique et l’art peuvent changer le monde. ” Cette première exposition sur l’exil et la langue ne sera peut-être pas la dernière du vidéaste chanceux “d’avoir des sentiments de feu “. Une capacité, pour lui qui permet d’avoir une vision du monde avec plus de passion et de se connecter à son pays.
Visuel: Cristóbal Ochoa