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Quand Guy Birenbaum renoue le fil de soi

Quand Guy Birenbaum renoue le fil de soi

29 March 2015 | PAR Hassina Mechaï

Ceci est l’histoire d’une implosion, d’une irradiation psychique due aux ondes, pixels qui déversent à tout instant le bruit et à la fureur du monde. Ceci est l’histoire de la dépression 2.0 de Guy Birenbaum.  Mais cela est aussi le récit d’un retour dans le réel, et cela est avant tout l’histoire d’un retournement vers la réalité. Le livre de Guy Birenbaum, Vous m’avez manqué, Histoire d’une dépression française, sort aux éditions les Arènes ce 1er avril. Comme une pirouette…

guy birenbaum

Guy Birenbaum a payé cher sa plongée in vitro dans le web et les réseaux sociaux : une condamnation au présent perpétuel, avec une peine incompressible à un an de dépression. De lui, on savait le sourire goguenard, la moue éternellement dubitative, les coups de gueule aussi, les coups d’éclats, les coups de tête. Mais on ne connaissait certainement pas les coups de blues. D’ailleurs en quoi nous auraient-ils regardés ? Ce livre raconte pourtant l’énorme vide qui lui est tombé dessus sans crier gare : la dépression, la poisseuse, l’humide, celle qui le réveille en nage dans son lit, comme si son corps se liquéfiait, perdait de sa matière solide pour le noyer dans l’originel liquide.

Ce livre a une jolie couleur vert tendre, comme un pied de nez (encore un) visuel, est la plongée dans le noir existentiel de cet homme qui semblait pourtant accumuler tous les signes extérieurs du succès professionnel et privé.  Dans de courts billets à l’écriture pressée, mais non hâtive, comme des bouées jetées aux lecteurs, Guy Birenbaum ausculte et dissèque cette maladie du siècle, la dépression, ses symptômes, emballement du cœur et ralentissement de l’envie. L’auteur décrit toutes les aides qu’il a reçues et su solliciter à temps, béquille chimique, à coup d’antidépresseurs mais aussi accompagnement psychanalytique et soutien indéfectible de sa famille et de ses amis,

De cette plongée vif dans l’enfer du soi en alternance avec le purgatoire du non être, Guy Birenbaum essaie d’en trouver les raisons. L’hyper-connectivité qui devint sa vie de journaliste et chroniqueur spécialiste des réseaux sociaux a fait beaucoup dans l’hyper-déréalisation qui le frappa. L’auteur a été en effet pendant longtemps un omniprésent de la toile. Du genre à se lever au chant du petit oiseau bleu et à se coucher en feuilletant le « livre des visages ». Il décrit ainsi avec intensité comment il pouvait passer à côté de sa femme, de ses filles pour communiquer avec des milliers d’inconnus. Sur ces réseaux sociaux, il faisait part de ses dernières fulgurances par des chroniques d’abord, par des vidéos parfois, en 140 signes souvent, jusqu’à ce que sa pensée ne se réduise plus qu’à une simple photo sur instagram. Lui qui avait écrit une thèse remarquée sur le Front national en 800 pages étayées, fouillés, ciselées, lui qui avait dirigé une maison d’éditions dynamiteuse et frondeuse, le voilà qu’il était réduit à des messages dignes de la grotte de Lascaux. Noyé dans ce monde, l’universitaire Guy Birenbaum y avait perdu de sa profondeur, de son épaisseur, de son ombre. L’évolution de la pensée à l’envers en somme, l’homme au potentiel encyclopédique réduit à un simple borborygme. Ceci tuera cela ? Avec Internet on assistait plus précisément à un massacre, celui de l’homme savant issu de la Renaissance.

Dans le nouveau credo immatériel de Guy Birenbaum, au commencement était le verbiage.  Pour la divinité à la forme d’oiseau bleu et son cortège d’égrégores, pas de parole mais de la palabre, pas de mémoire mais de l’instant, pas de géographie mais des points nodaux. Certes depuis Platon qui nous invitait à sortir de la grotte des illusions, à Don Quichotte ou Madame Bovary qui, la tête farcie pour l’un de romans de chevalerie et pour l’autre de romans d’amour, finirent dans la déréalité la plus comique ou la plus morbide, le virtuel est une sujet qui fascine. Mais avec les réseaux sociaux et le monde à portée du clic immédiat, nous assistons peut-être à quelque chose de plus grave, peut être tout simplement à « la disparition du principe de réalité » selon l’intuition de Baudrillard. Cette disparition court tout au long du livre, une disparition à échelle d’homme mais qui n’en vaut pas moins avertissement pour tous.

Mais Guy Birenbaum fait aussi le portrait en creux d’une France qui perd pied, comme si sa dépression était la conséquence d’une dépression plus large, nationale, celle-là. Parce que les réseaux sociaux, ce ne sont pas que des approbations virtuelles au bout du clique. C’est aussi la haine, l’antisémitisme qui lui explose en plein visage. Et là, rien de virtuel. Il situe le début d’une réelle prise de conscience le 26 janvier 2014, quand au cours d’une manifestation, baptisé alors « jour de colère » et à l’appel d’une nébuleuse indéfinie, le cri de la horde « Juif, la France n’est pas à toi » fut lors entendu. Bien sûr, Guy Birenbaum avait auparavant reçu des messages de ce genre, car internet n’est pas seulement la nouvelle agora de l’humanité, il en est aussi la fosse septique où se déversent sous couvert d’anonymat putréfactions existentielles et remugles digestifs haineux. Déjà donc ce genre de messages d’outre temps lui avaient été adressés, avec toujours la même haine à l’éternel dénominateur commun, le Juif.

Ces coups de canifs n’avaient rien d’immatériel et ont fini par rouvrir la blessure de la mémoire familiale du jounaliste. Alors dans cette arène de l’oubli, il s’est souvenu. Il s’est rappelé l’histoire de ses parents, celle de Tauba Zylbersztejn et celle de Robert Birenbaum. Il s’est souvenu que son prénom était le nom de guerre de son père dans la résistance. Il a cessé d’oublier que sa mère s’était cachée avec sa famille pendant deux ans  et qu’ils n’avaient dû leur survie qu’à une femme courageuse. Il s’est reconnecté au fil ténu de la mémoire et de l’immémorial, lui qui s’était emmêlé et pris au piège du câble de l’instantanéité. Lui le Juif Français non pratiquant est finalement revenu à l’injonction de l’Histoire et du Souviens-toi, le Zakhor hébraïque.

Vous m’avez manqué est donc un livre à tiroirs, qui permet plusieurs pistes de lectures et de réflexion. Mais à la lecture de ces pages, un doute lancinant est demeuré : et si ce livre, dans la description et la dénonciation qu’il fait de ce monde virtuel participait encore et toujours, au bout du compte, de ce monde qu’il allait contribuer à nourrir. Bien sûr pas par manipulation délibérée de son auteur, ce livre est trop franc et sincère pour cela. Mais tout simplement parce que ce monde virtuel, à la transparence totalitaire, peut intégrer à sa pulsation toute tentative de critique et de distance, comme l’huître transforme le grain de sable en perle. Ce livre donnera ainsi lieu à des tweets, des clics, des blogs…mais peut-être est-ce là une autre histoire.

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Hassina Mechaï

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