Politique culturelle
INTERVIEW :  Victoria Mann, directrice de l’AKAA Art Fair nous présente la 4e édition et les enjeux de la foire !

INTERVIEW : Victoria Mann, directrice de l’AKAA Art Fair nous présente la 4e édition et les enjeux de la foire !

17 November 2019 | PAR Chloé Coppalle

Du samedi 9 au lundi 11 novembre 2019, s’est déroulée la 4e édition de l’AKAA Art Fair ! Pour l’occasion, sa fondatrice, Victoria Mann, nous a reçus au Carreau du Temple à Paris, où se passait l’événement ! 

Vous expliquez que le but de l’AKAA est d’aider les artistes à intégrer le marché de l’art international. Aujourd’hui, quels sont les facteurs qui ralentissent cette intégration ?

Je pense qu’il ne faut pas partir d’un point de départ négatif. Ce qu’il faut faire, c’est repartir en arrière et comprendre l’histoire de la diffusion de ces artistes car, évidemment, la création, les artistes et les scènes contemporaines ont toujours existé sur le continent africain. Elles ont eu des périodes modernes, des périodes contemporaines… Ensuite, il y a tout l’écosystème artistique qui se construit autour de ces artistes et c’est ça qui met le plus de temps. Aujourd’hui, les scènes existent depuis longtemps, mais le marché de l’art africain est jeune. Je n’aime plus le mot “émergent” car ça fait quasiment cinq, six, sept ans… qu’il émerge, mais il est encore jeune. Il est encore en train de se stabiliser, mais il n’a pas encore atteint la maturité qu’ont potentiellement d’autres marchés de l’art à l’international. Pourquoi maintenant et pas avant ? Je pense que le fondamental de ça est ce qui se passe à la fois sur le continent africain et ailleurs. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un marché évolue s’il n’est pas représenté, s’il n’est diffusé que par l’international, que par les autres. Il faut qu’il soit fort dans le local. Il faut qu’il y ait des infrastructures artistiques dans les pays d’où viennent les artistes. Il faut qu’il y ait des collections, des institutions, des fondations, des centres d’art… et aujourd’hui, on voit bien que c’est le cas. Si on regarde des villes comme Dakar, Marrakech, Casablanca, Lagos, Cape Town, Johannesburg, on voit qu’il y a un vrai écosystème panafricain qui est en train de se monter. Ici, il y a dix-huit galeries qui viennent du continent africain sur quarante-cinq, c’est donc la preuve qu’il y a des acteurs du marché qui s’engagent pour la diffusion de ces artistes, pour leur rayonnement, dans des centres internationaux comme Paris, Londres, New York ou Berlin, là où les plus gros rassemblements du marché de l’art se font. C’est ce phénomène-là qui est en train de se passer depuis quelques années, qui fait que ce marché prend de plus en plus d’ampleur. Ce n’est pas qu’il est freiné ou qu’il est empêché, c’est juste qu’il est en train de se développer.

Face à cette situation, comment vous êtes-vous dit un jour : on va organiser une foire consacrée uniquement aux artistes et aux œuvres qui viennent du continent africain ?

Alors, deux choses ! Premièrement, l’AKAA Art Fair n’est pas une foire qui ne se consacre qu’aux artistes venus du continent, ça c’est très important. L’idée n’est pas de géographier une foire. Ça peut paraître comme un paradoxe, mais ce n’en est pas un ! L’idée de AKAA, c’est de mettre l’Afrique au centre, d’inviter tous les artistes qui participent à la foire à raconter une histoire, celle de leur lien avec ce continent africain. Ce lien peut être qualifié évidemment par un lieu de vie, par un lieu de naissance, par une origine, par un passeport, mais pas que ! Il peut être aussi qualifié par un héritage, une histoire, un voyage, une collaboration, une résidence, une passion… et ce sont toutes ces histoires-là qui nous intéressent. Je me suis lancée dans l’histoire de l’art parce que ce qui me fait vibrer, c’est l’histoire que les artistes ont à raconter et, justement, les histoires par rapport à ce continent, qui m’a toujours attiré et qui m’a toujours fasciné, me font vibrer encore plus. Et c’est de là qu’est née AKAA. C’est important, car finalement, quand on regarde les choses sous cet angle, ça ouvre tous les champs du possible. Ça donne une foire complètement internationale, qui accueille des artistes des quatre coins du monde et qui fédère toujours autour de ce centre qu’est l’Afrique. Venant d’un milieu d’histoire de l’art, passionnée par le continent et l’art contemporain, j’ai voulu créer une galerie pour défendre ces artistes. Je travaillais beaucoup sur les foires et c’est en ayant l’expérience de la foire du côté de l’exposant que je me suis dit: “Ce qui manque à Paris, c’est une plateforme culturelle et commerciale pour la diffusion de ces artistes.”

Justement, en parlant d’histoire de l’art, où peut-on être formé, en tant qu’étudiant, aux arts venus des pays du continent africain ?

Personnellement, j’ai étudié à la fois aux États-Unis et en France. Effectivement, quand je suis rentrée en France et que j’ai intégré l’École du Louvre, il n’y avait pas de cursus en arts contemporains africains, j’ai donc suivi des cursus en arts africains plutôt au Quai Branly. J’ai étudié avec des professeurs d’histoire de l’art africain traditionnel et j’ai commencé à faire ma propre éducation sur les artistes contemporains. J’ai travaillé sur les peintres modernes en Afrique en sujet de recherches, en tant qu’étudiante, sur des fonds d’archives et des collections à la fois à Paris, à Genève et à Londres. Je suis devenue spécialiste de mon domaine car je suis partie à la rencontre de ces artistes. Aujourd’hui, s’il y a une chose qui manque pour leur diffusion, ce sont des écrits, c’est une histoire de l’art qui devrait s’écrire en même temps.

Au début du XXe siècle, le regard porté par les marchands, tels Paul Guillaume ou Charles Ratton, ont défini une certaine manière de considérer l’art dit “africain” en Occident. Comment l’AKAA interroge-t-elle cette responsabilité, tant sur l’accrochage, que sur les discours des œuvres exposées ?

On a pris le parti d’une vraie foire d’art contemporain internationale. Ce n’est pas parce que c’est l’Afrique qu’il faut passer par des systèmes différents, au contraire ! On est sur un marché de l’art international qui a des codes. On fait attention évidemment au lieu d’exposition sélectionné. Le choix du Carreau du Temple n’est pas anodin, c’est un lieu prestigieux, c’est un écrin pour les artistes. On fait attention à toute la scénographie, ce n’est pas un marché de « bric-à-brac », c’est une foire d’art : il faut que les œuvres respirent, qu’elles soient bien accrochées. Les galeristes et les artistes sont invités à scénographier, il y a un vrai travail de direction artistique. Une programmation culturelle est créée pour donner les outils de compréhension de cette scène. C’est très important ! Cette programmation culturelle, contrairement à la foire, est ouverte et gratuite pour tout le monde. Pour les tables rondes, les conférences, les projections et les performances, il y a une volonté que le public vienne à la rencontre des artistes, pas seulement pour les voir mais aussi pour dialoguer. C’est comme ça qu’on va changer les préconceptions et peut-être les clichés qui existent encore par rapport à ces scènes contemporaines.

Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule la sélection pour chaque édition ?

Bien sûr ! On ne sélectionne pas directement les artistes, on passe par les galeristes. Nos clients sont les galeries. Toute une période de l’année est consacrée à la rencontre de ces galeries. On discute, on imagine l’édition à venir et on les encourage à postuler. Au mois de mai se tient un comité de sélection composé de quatre experts qui nous accompagnent. Ce sont eux qui font la sélection finale de l’édition à venir. Tous les dossiers de candidature reçus passent entre leurs mains. Il y a toute une journée de discussions, de réunions, de partage par rapport à ces dossiers et, à l’issue de cette réunion, sont sélectionnées les galeries participantes pour l’année en cours. Ensuite, nous entrons dans la phase de production.

D’accord, donc tout commence avec un premier contact avec les galeries, et c’est seulement après que la sélection des artistes est effectuée ?

Oui, en fait, chaque galerie fait une proposition des artistes ce qu’elle veut apporter à la foire.

L’année dernière, la 3e édition explorait les axes Sud/Sud. Comment avait été portée cette problématique et quelles vont être les thématiques de cette année ?

Il nous paraît important de regarder plus loin que l’idée du continent. Dans l’idée de lien à l’Afrique, il faut sortir des frontières. Pour l’année dernière, il nous a paru important de penser aux axes et aux liens qui ne passent pas par l’Occident. Qu’est-ce qui se passe si on met Rio en face de Lagos ? Est-ce qu’on est forcément obligé de passer par des méthodes de penser et de diffusion qui passent par Paris, Londres… ?  L’année dernière, l’idée était de mettre cet axe sur ces relations, ces dimensions et ce business sans passer par l’Occident comme on a l’habitude de faire. Cette année, le fil rouge est la ville, l’urbain. Un peu dans la même idée de sortir des frontières du continent, on a voulu arrêter de parler de cultures, de pays et de régions, pour parler de villes. La ville, beaucoup d’entre nous l’ont en commun. Beaucoup de villes vivent les mêmes réalités, les mêmes challenges, les mêmes développements et beaucoup de villes impactent les artistes. Elles sont de vrais melting-pot artistiques, donc il a paru intéressant d’interroger les artistes par rapport à leur relation à la ville. Comment impacte-t-elle leur carrière, leurs réseaux et leur travail ? Regarder un effet miroir, comment ces villes sont impactées également par ces artistes dans leur développement urbain.

Visuel : Victoria Mann-2016-© ROBERTA VALERIO

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