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Le Festival de BD d’Angoulême annonce la déprogrammation de Bastien Vivès (TW)

Le Festival de BD d’Angoulême annonce la déprogrammation de Bastien Vivès (TW)

14 December 2022 | PAR Camille Curnier

Alors que le dessinateur de bandes dessinées était invité pour une carte blanche au Festival de la BD d’Angoulême en janvier prochain, les voix s’élèvent et appellent au boycott et à la déprogrammation de l’artiste accusé une nouvelle fois de banaliser et de glamouriser le viol et l’inceste. Le Festival vient de rendre public sa décision d’annuler l’exposition de l’artiste. 

Qui est Bastien Vivès et pourquoi fait-il polémique ?

Originellement programmé cette année pour la 50e édition du Festival International de bande dessinée de la ville d’Angoulême qui se déroulera du 26 au 29 janvier 2023, l’artiste Bastien Vivès fait face à un véritable torrent d’accusations depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. Auteur reconnu du monde de la BD en France, Vivès se fait connaître en 2009 après avoir remporté le prix du Festival d’Angoulême pour son œuvre Le goût du chlore.

Depuis plusieurs années déjà, l’auteur est sujet régulièrement aux mêmes controverses dénonçant l’apologie de la pédocriminalité, du viol ou encore de l’inceste dans ses planches de dessins. En 2018 notamment, Vivès était pointé du doigt pour sa bande dessinée Petit Paul édité chez Glénat et dont l’histoire est centrée sur un petit garçon de dix ans au sexe disproportionné subissant continuellement des viols de la part de femmes de son entourage, dont sa sœur ou son institutrice. L’œuvre avait d’ailleurs été retirée des rayons de certaines enseignes.

Si certain·e·s prônent encore une liberté de créer et de choquer, plusieurs personnalités et associations ont souhaité alerter sur une banalisation de la pédopornographie et se mobiliser pour pousser le Festival d’Angoulême a déprogrammé l’artiste pour sa prochaine édition. Le collectif “Prévenir et Protéger” aux côtés du mouvement #BeBraveFrance a décidé de lancer une pétition en ligne pour la déprogrammation de la carte blanche de Vivès en janvier prochain. L’activiste des Droits de l’Enfant et cofondateur de ce mouvement Arnaud Gallais, dénonce des ouvrages et des propos dangereux. Les étudiant·e·s et professeur·e·s de l’école d’art d’Angoulême ont également décidé de lancer leur pétition sur change.org pour dénoncer un travail véhiculant “des propos problématiques et une image dégradante des femmes”. Ce mardi 13 décembre, les deux pétitions regroupaient plus de 85.000 signataires.

Le président du festival avait fait savoir il y a quelques temps que l’exposition serait maintenue. Pour le directeur artistique adjoint du Festival Fausto Fasulo, la déprogrammation était “évidemment exclue” et serait “une défaite philosophique énorme”. Le festival décide finalement d’annuler l’exposition de l’artiste suite aux menaces à l’encontre de l’auteur. Bastien Vivès réfute ces accusations et dépeint une œuvre caricaturale, purement fictionnelle et fantasmée ne laissant aucun doute sur le caractère grotesque et irréaliste d’un personnage et de son environnement. Le dessinateur reste cependant partant pour des débats sur son œuvre et Benoît Mouchard, directeur artistique du Festival, a d’ailleurs annoncé deux débats sur la liberté d’expression et sur “la représentation érotique des rapports hommes-femmes dans le monde post #MeToo” pour la prochaine édition du Festival.

Peut-on réellement rire de tout ?

Pendant longtemps, le travail de Bastien Vivès a été présenté comme provocateur exploitant des fantasmes inavouables de ses lecteur·ice·s. Dans une chronique du magazine Mademoizelle, la maison d’édition Casterman avait d’ailleurs écrit que “Bastien Vivès aime susciter le trouble, bousculer, faire réfléchir et sortir son lecteur de sa zone de confort”. En réalité, le travail que propose Vivès est problématique et flirte avec la limite de la légalité.  

En effet, dans son livre à caractère pornographique Les melons de la colère publié en 2011, il évoque des relations incestueuses entre deux jeunes frères et sœurs jouant avec ce qui serait selon lui un fantasme. Dans une interview réalisée par Elisa Palmer, il explique très clairement que dans cette œuvre, il y a “des relations sexuelles avec un gamin de huit ans” et assume cette idée en évoquant le fait que “ça reste un dessin”.

Ce type de discours est problématique puisqu’il constitue à banaliser l’inceste, mais également ici, à banaliser la pédopornographie. Une œuvre parlant ou évoquant l’inceste n’est pas un problème en soit mais la glamourisation l’est. Si certain·e·s se réfugient sous l’argument de la liberté d’expression, il est d’ordre de rappeler que celle si s’arrête là où un délit est caractérisé. Dans le cas présent, on pourrait se poser la question de la légalité de ses dessins présentant des contenus pédopornographiques. L’acte n’est ici pas raconté de façon condamnable mais bien comme un fantasme. Au lieu d’appuyer sur la dénonciation des faits, l’auteur évoque ses fantasmes sous couvert du caractère fictionnelle de l’image.

Il ne faut pas séparer l’œuvre de l’artiste puisque l’un est la genèse de l’autre. Bastien Vivès explique par ailleurs que la plupart de ses bouquins sont inspirés de ses fantasmes, “vu que je ne peux pas faire d’inceste dans la vraie vie, et que je n’ai pas de grandes sœurs pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres”. Un discours d’autant plus choquant lorsque l’on découvre l’histoire d’autres ouvrages publiés. En 2018, il écrit notamment “La décharge mentale” où un père de famille se retrouve dans des situations sexuelles avec les quatre personnages féminins de l’histoire que sont sa femme et ses trois filles âgées respectivement de 10, 15 et 18 ans.

En-dehors du champ de la fiction, la romantisation du meurtre suscite le malaise, cependant, l’inceste et le viol ne le font pas toujours. Ils restent encore des sujets très largement inscrits dans une pensée fantasmée notamment véhiculée par les industries pornographiques. Avec ses œuvres, Vivès contribue à cette culture du viol encore très enracinée dans notre société et véhicule ainsi des idées reçues problématiques sur les notions de consentement protégeant certains actes d’être qualifiés comme viols ou agressions sexuelles.  Il ne faut pas non plus nier l’existence d’une sexualité chez les mineurs ni négliger l’importance de la découverte de son corps et celui de l’autre dès l’enfance. Parler de sexualité n’est plus tabou depuis plusieurs années maintenant, mais en ce qui concerne le viol, l’inceste ou encore la pédocriminalité, il ne s’agit ni de tabous, ni de fantasmes, mais bien de pratiques illégales et répressibles par la loi.

En termes juridiques, peut-on réellement incriminer Bastien Vivès ? L’article 227-23 du Code pénal interdit en effet de” diffuser, fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère juridique”. La loi laisse ici libre d’interprétation la notion d’image ou de représentation. Un caractère fictionnel ou un dessin pourrait donc de ce fait échapper à la loi laissant apparaître dès lors un vide juridique dangereux sur la pédocriminalité en France.

 

VISUEL : Affiches du festival de la BD d’Angoulême. 

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