
Charles mort ou vif d’Alain Tanner, l’étrange voyage d’un homme sans qualité
Trois films du cinéaste suisse Alain Tanner, restaurés, sortent en salle : Le retour d’Afrique (1973), Dans la ville blanche (1983, meilleur film francophone), et Charles mort ou vif (1969, Léopard d’or à Locarno). Un moment de flottement étiré, dans la vie d’un homme fatigué. Un film qui reste. À découvrir au cinéma dès le 30 juin.
Charles Dé dirige une entreprise familiale d’horlogerie. À l’heure de passer la main à son fils, une fatigue brusque le prend. Face au journaliste qui l’interviewe, le voilà qui répond de manière sarcastique, évasive, éludant la question : “Auriez-vous aimé faire autre chose ?”. Son grand-père, son père, son fils possédaient ou possèdent assurément le goût de l’horlogerie et le sens des affaires. Mais lui ? Que peut-il bien en dire ? Rien. Comme sur un coup de dé, Charles Dé décide de retirer ses lunettes, qui lui servaient à voir moins clair, et il s’en va.
Ce départ ressemble moins à un coup de folie qu’à un cheminement méthodique. Tout ce qui faisait de lui un homme accompli, Charles va s’appliquer à le défaire. Se délester, marcher au hasard, boire à volonté, parler en étant, cette fois, écouté de compagnons de fortune, là où sa femme et son fils ne l’écoutaient que d’une oreille agacée. Avec sa fille, anarchiste, les liens sont plus sincères, mais la jeune fille vit sa vie. Au fil de son périple, l’homme semble s’étoffer, retrouver une voix à lui. À d’autres moments, l’accablement paraît l’emporter.
Dans un bar, la rencontre d’un couple bizarre – un gentil colosse et sa jolie compagne – donne un sens différent à la fuite de Charles. Avec eux, il prend un peu racine, s’ancre dans une amitié bancale et amusante. Jusqu’à quand ? Pour l’horloger, bien sûr, le temps est compté.
Avec méticulosité, Alain Tanner distille un humour mélancolique, qui émeut. François Simon, beau visage aux traits tirés, incarne un homme sans qualité, sans identité, mû par cette idée fixe de démonter ce qu’il a fait jusqu’à présent. Charles mort ou vif, ou bien…
Charles mort ou vif d’Alain Tanner, Suisse, 1969, 93 minutes, avec François Simon, Marcel Robert, Marie-Claire Dufour, André Schmidt, Maya Simon, Jean-Luc Bideau. Réptrospective “Eloge de la fuite”, en salle le 30 juin.