
Les « Radium girls » brillent d’un éclat farouche
Après ses deux tomes du Vrai sexe de la vraie vie, Cy revient avec Radium girls, l’histoire de ces ouvrières empoisonnées au radium et abandonnées à leur sort. Un bel album engagé et féministe.
New Jersey, 1918. Dans l’usine de l’USRC, les ouvrières peignent les chiffres des cadrans de montres avec une peinture précieuse et chère : la peinture Undark qui brille dans le noir, à base de radium. C’est une équipe joyeuse et solidaire que rejoint Edna, et on lui apprend vite la technique idéale pour peindre, consistant à lisser le pinceau avec ses lèvres. Les jeunes femmes, surnommées les « ghost girls » car elles brillent dans le noir, s’amusent avec ce produit comme elles s’amusent dans la vie. Mais quelques temps plus tard, après avoir quitté l’usine, les symptômes apparaissent…
Radium girls, comme le surnom qui a remplacé le premier une fois le scandale saisi par les journalistes, cherche à restaurer la mémoire de ces femmes que le progrès a piétinées. Car si certains étaient conscient du danger, nombreux préféraient continuer à exploiter leur produit miracle, qu’ils mettaient aussi dans les crèmes pour le visage ou les toniques. Ils allaient jusqu’à enterrer les problèmes, en renvoyant ceux qui posaient des questions gênantes, ou en niant le lien des maladies avec leurs entreprises, n’hésitant pas à souiller le nom des malades.
Au-delà de l’histoire révoltante de ces vies volées et dédaignées, Radium girls est une bande dessinée résolument féministe. Cy insiste sur la représentation du corps féminin dans toute sa variété avec ses six héroïnes aux morphologies très humaines. Elle souligne l’absurdité des normes imposées par la société tout en nous présentant des femmes libres et pleines de vie, à qui on vient d’accorder le droit de vote. Ici, les personnages masculins sont relégués aux seconds rôles, rééquilibrant – un peu – le rapport homme/femme dans les héros de bande dessinée.
Par petites touches, Cy évoque le contexte social des années folles. On suit les jeunes femmes aux cheveux courts, aux robes fluides et chapeaux cloches, entre soirées au speakeasy et journées à la plage de Coney Island, avec des maillots qui peu à peu raccourcissent. Sa finesse réside également dans les nuances de caractère de ses personnages. Si elles sont modernes, certaines résistent ou ne comprennent pas les évolutions de la société, et le modèle familial reste malgré tout celui de la femme au foyer soumise à son mari.
Le dessin au crayon de couleur, très maîtrisé, se décline dans des camaïeux de violet soulignés par un vert radium, à la fois couleur complémentaire et contrastante. Des illustrations pleine page symbolisant la maladie des jeunes femmes les érige en muses silencieuses, martyres sculpturales à l’inspiration Art Déco. Le traitement graphique de l’album est très expressif, et la matière du crayon de couleur qui transparaît dans les aplats est belle, laissant imaginer la main de l’artiste au travail. Et celle-ci est précise et délicate, donnant un style fort malgré une technique moins facile à maîtriser qu’il n’y paraît.
Radium girls est un roman graphique, à la limite du pamphlet mais sans la caricature, qui aborde avec finesse le destin de ces femmes que certains auraient voulu oublier. Une belle ode à ces femmes de l’ombre, qui rappelle que le féminisme est toujours une question d’actualité.
Radium girls, de Cy
136 pages, 22€, Glénat
Visuels : © Glénat