
« Not I » ou la mise en scène du haïku au festival Faits d’Hiver
Pour le festival Faits d’hiver, Camille Mutel déploie une lente chorégraphie où s’entrechoquent sur le temps long beaucoup de ses obsessions.
Intime. Elle est d’abord assise, non pas dos au public mais presque, à l’intérieur de ce qui forme un plan en équerre dans la quiétude du studio de danse du Point Ephémère où elle donnait ce mardi 28 janvier deux représentations successives. On la découvre dans cette tranquille immobilité qui va se rompre progressivement dans des mouvements lents, une sorte de trilogie «assise, enroulée, retournée» qui peu à peu va faire performance. «Cérémonie de l’intime» écrit-elle dans une note d’intention qui met en jeu un «mode d’attention à l’autre» qui précède la rencontre.
Image. Le public est ainsi au travail, en quelque sorte suspendu à des mouvements minuscules et processuels finissant par «donner» une image sur laquelle l’attention se fixe. Camille Mutel est notamment connue pour proposer des spectacles de danse Butoh et du strip-tease et c’est un peu de cela dont il s’agit ici. À scruter l’artiste sous tous les angles, chaussettes blanches, culotte blanche sous combi bleu ciel, on attend l’impossible, qu’enfin il se passe quelque chose, qu’un geste vienne rompre le tortueux silence qui nous envahit alors, curieux mélange d’intensité et de néant.
Corps. Et quand celui-ci survient, il commence par menacer, long couteau sous la gorge et presque dans la bouche. Mutel se fait avaleuse de sabres, en distillant perfidement le souvenir d’une Gina Pane. On comprend que dans cet univers immobile, le moindre son fait sens, le couteau qui tranche brutalement un oignon et ces légers sanglots qui s’ensuivent, est-ce l’oignon où la tristesse de contempler un poisson, sorti du tapis de sol comme par enchantement et qui nous est montré là, comme si l’on voulait faire partager cette hésitation entre la mort et son miroir; l’autre -cet être vivant- faut-il le dévorer ou au contraire, se tenir à ses côtés. Dans cet espace confiné, compact, le corps de l’artiste résonne sourdement de sa masse. Éclairé, détaillé, il devient insecte pachyderme qui parvient à se fondre dans le décor, collé puis décollé de la lumière, s’ouvrant peu à peu jusqu’à l’ultime offrande — un verre de vin tendu à un spectateur et puis l’esquisse d’un sourire. Le premier, le dernier.
Camille Mutel, Compagnie Li, Festival Faits d’hivers 2020
Visuel : © Juul Kraijer