Théâtre
Les “Chevaliers de Charlemagne” jouent à être des marionnettes

Les “Chevaliers de Charlemagne” jouent à être des marionnettes

22 November 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Du 14 au 23 novembre, le théâtre de la Girandole à Montreuil (93) programme un bien singulier spectacle: Les Chevaliers de Charlemagne de Cantieri Teatrali Koreja (Italie). Ou comment la légende multiséculaire des paladins de Charlemagne, Roland en tête, peut être présentée d’une amnière moderne, en empruntant à l’opera dei pupi traditionnel… mais en remplaçant les marionnettes par des acteurs et en jouant en français. Le résultat est surprenant mais poétique.

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L’opera dei pupi italien, c’est notamment le très typique et très traditionnel théâtre de marionnettes sicilien, qui s’attache particulièrement à représenter des histoires tirées de poèmes épiques du Moyen Âge français, spécialement les cycles chevaleresques liés au roi Arthur… ou à Charlemagne. C’est ainsi que l’une des oeuvres littéraires les plus célèbres faisant l’objet de ces représentations est L’Orlando furioso (Roland furieux, 1516) de l’Arioste. Les marionnettes siciliennes sont des marionnettes à tringles, avec des articulations assez rudimentaires (au moins le bras de l’épée, parfois celui du bouclier, parfois les genoux).

C’est cette tradition qui est récupérée et recyclée avec humour et intelligence – et une certaine audace – par le Cantieri Teatrali Koreja.

Le matériau littéraire a été réécrit, et mélange la Chanson de Roland avec L’Orlando furioso, débouchant sur une oeuvre à mi-chemin entre épique et baroque, passablement difficile à suivre si on n’en possède pas les codes, mais réjouissante comme un conte enfantin si on ne s’accroche pas à tout prix à discerner un récit linéaire. Traduite en français par Luciano Travaglino, le cofondateur de la Girandole (le titre original est Paladini di Francia), l’histoire devient encore plus folle: Orlando reste Orlando, Ruggiero reste Ruggiero, mais Angélique est Angélique, de façon parfaitement arbitraire. Le verbe est haut, la langue réjouissante, et on se laisse aller volontiers à dériver, sans trop se préoccuper de trouver un sens à tout cela.

Les marionnettes, surtout, ont été remplacées par des acteurs, mais avec de notables particularités. On pourrait, en fait, presque considérer que les rôles sont portés par les super-marionnettes que seraient les costumes: somptueux, ceux-ci sont comme des carapaces d’un seul tenant, plastrons et coiffes dans lesquels se glissent les interprètes. Dès le lever de rideau, ils sont en scène à cour et à jardin, rangés sur des sortes d’immenses portants. Ces costumes sont d’ailleurs faits pour ressembler à des pupi traditionnels: les coiffes se prolongent par des tringles verticale, surmontées d’un (faux) contrôle en croix de bois.

Le jeu des acteurs épouse cet entre-deux souhaité entre l’humain encarapaçonné et la marionnette en bois: avec des gestes saccadés, ils se meuvent en imitant au mieux les pupi dont ils s’inspirent. Si le déplacement sur le plateau reste très différent du modèle d’origine, du fait que les acteurs ne sont pas suspendus, la gestuelle volontairement limitée à quelques mouvements symboliques rappelle de manière fidèle les petits chevaliers de bois. De même, les expressions des visages sont assez figées, et voyagent entre quelques mimiques archétypales prédéfinies.

Il faut un sacré talent pour s’en tirer, dans de pareilles conditions, mais les interprètes, deux hommes et deux femmes, à force de conviction et d’application, parviennent non seulement à convaincre dans l’exercice mimétique un peu fou qu’ils ont entrepris, mais arrivent même à amuser et à séduire. La façon assez truculente dont ils interprètent le texte devenu tragi-comique force la sympathie. Et le contraste entre les visages peints et les gestes ultra-codifiés, d’une part, et le matériau épique, d’autre part, devient, à la longue, délectable en soi-même. On a l’impression parfois qu’une pièce de théâtre baroque a rencontré inopinément une pièce de kabuki japonais, mais que le tout a été confié à une troupe qui ne sait jouer que Pinocchio! Et la mise en scène, devant et derrière une sorte de cadre figurant une manière de castelet, sert plutôt bien les interprètes dans leur entreprise.

L’attrait central du spectacle réside tout de même peut-être dans son esthétique. Les lumières, bien tempérées et avec des univers très colorés, y aident beaucoup. Mais sans conteste l’élément qui retient le plus l’attention est la galerie de costumes, bigarrés, assemblages improbables d’éléments chinés et fondus ensemble dans une heureuse confusion qui n’est pas sans rappeler certains bricolages du Turak Théâtre.

En somme, et même si l’histoire est un peu difficile à suivre, on se laisse facilement embarquer, et on assiste, mi-fasciné mi-retombé en enfance, aux aventures improbables d’une brochette de chevaliers qui l’est tout autant – ce qui n’exclut pas un serrement de poitrine sur le très beau final. A découvrir!

 

De Francesco Niccolini

Mise en scène Enzo Toma

Avec Alessandra De Luca, Carlo Durante, Andrea Listorti, Emanuela Pisicchio

Assistante à la mise en scène Valentina Impiglia

Décor Iole Cilento

Musique originale Pasquale Loperfido

Lumière Angelo Piccinni

Voix de Charlemagne Hugues Massignat

Visuels: (c) Mathieu Lavergne

Infos pratiques

Centre Atlantique de la Photographie
Opéra de Montpellier
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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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