
Marie-José Malis fait de Vêtir ceux qui sont nus un théâtre de recherche
Pour cette troisième mise en scène de Pirandello au théâtre de la Commune qu’elle dirige, Marie-José Malis a choisit Vêtir ceux qui sont nus, pièce de 1922 où le dénuement et la pauvreté d’une femme a un écho politique. Sa mise en scène montre l’importance de la parole : un exemple de la nécessité de faire entendre sa voix, de crier la vérité pour se convaincre de sa propre existence.
Ersilia Drei est une femme pauvre, dépouillée, à la rue. Renvoyée de son travail de gouvernante chez le consul de Smyrne après la mort accidentelle de sa petite fille, elle erre dans les rues de Rome et tente de se suicider. Un journaliste recueille ses paroles et suscite l’émoi public, un écrivain lui offre un toit, son ancien fiancé veut réparer ses erreurs et la reconquérir… Cette bienveillance s’avère plus une prison qu’un réconfort. Chacun des hommes qui l’entoure a construit sa propre image de cette femme, l’empêchant de vivre pour elle-même. Vêtir ceux qui sont nus est un fabuleux laboratoire de ce « male gaze », ce regard masculin qui cherche à définir les femmes selon ses propres critères et attentes. Car ces hommes pleins de bienveillance vont ensuite se lamenter sur leur vie bouleversée lorsqu’elle parviendra à faire sortir la vérité de sa bouche…
C’est le regard de l’amoureux, certain d’obtenir le pardon simplement parce qu’il le demande, c’est aussi celui du journaliste ou de l’écrivain : tout deux s’acharnent à la trahir en se réappropriant son histoire. Car au fond, aucun ne veut vraiment se confronter à cette vie là : muse de l’écrivain, scoop pour le journaliste, la vie d’Ersilia doit être transformée, la vérité d’un individu bafouée pour être digne d’être racontée.
La rue est entrée dans le théâtre.
Le rapport entre l’art et le réel est un thème phare de l’auteur italien (notamment le cas d’école Six personnages en quête d’auteur, 1921), auquel Marie-José Malis donne une autre dimension en reculant les frontières du théâtre, allant un cran au dessus dans l’abolition de l’illusion théâtrale. Elle le fait par un geste très simple : ouvrir la porte du théâtre. Directement sur les rues d’Aubervilliers, dont on entend la rumeur et ressent le vent froid. Le réel est donc invité à entrer, à s’installer, à regarder la scène et à y participer.
Ce réel, ce sont les comédiens de l’École des Actes du théâtre de la Commune qui l’incarnent. Ce programme d’apprentissage du français à travers l’art et la création à destination de réfugiés présents à Aubervilliers est dirigé par Alain Badiou. Au début, on se demande qui sont ces perturbateurs de spectacle, s’ils font irruption ou ont été invités. La démarche est curieuse et ne convainc pas tout à fait, peut-être à cause du rôle très limité qui leur est accordé, mais permet de poursuivre en pratique la démarche de Marie-José Malis. Ils accentuent le personnage d’Ersilia Drei et la portée de sa parole, reprenant en écho ses mots lorsqu’elle tente d’expliquer l’importance de faire entendre sa parole et d’être crue. Une complicité se crée entre l’héroïne et ces acteurs : ils ont le même statut, ils sont exclus.
Marie-José Malis fait de Vêtir ceux qui sont nus un théâtre de recherche qui accroche tout de même le spectateur par la place capitale accordée à la narration, puisque l’intrigue attend son dénouement. Surtout, malgré sa forme qui peut paraître aride (décor dépouillé, une pièce de 4h20 sans entracte, un jeu d’acteur expérimental), cette mise en scène cherche des solutions pour faire exister le théâtre dans la vie de tous. La scène d’Aubervilliers est un laboratoire, cette pièce une recherche qui se veut collective.
Visuel : Vêtir ceux qui sont nus (répétitions) @ Willy Vainqueur
One thought on “Marie-José Malis fait de Vêtir ceux qui sont nus un théâtre de recherche”
Commentaire(s)
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chantal pupier
très bonne critique, intéressante, qui donne une image précise de la mise en scène originale de la pièce de Pirandello
Merci pour cet article